La « Colère » d’Árpad Soltész : la démocratie, nouvel eldorado criminel

Pas question que les choses s’arrangent avec Arpád Soltész. L’auteur né Tchécoslovaque mais désormais Slovaque, ne change pas de braquet. Il continue à dénoncer la corruption et les magouilles dans une Slovaquie des années 1990. Portait au vitriol d’une police et d’un Service de renseignements gangrénés jusqu’à l’os et où les héros ont bien du mal à émerger. Avec « Colère », on comprend que l’auteur ne lâche pas l’affaire : mettre la tête des ripoux sur le billot.

On retrouve le lieutenant Mikulas Miko (Miki) de la police criminelle et on découvre son nouveau partenaire le lieutenant Molnar (Moly), jeune policier idéaliste bien décidé à vider la ville de tous ses criminels. Miki est moins acharné que par le passé, de l’eau a coulé sous les ponts, il a mûri, s’est calmé et a compris comment marche la nouvelle machine étatique en démocratie. Il n’empêche. La mort soudaine de Moly dans un accident de voiture le remet en selle. « Même avec trois grammes dans le sang, il ne comprend pas comment on peut avoir un accident. Il en collera deux à Moly. » Mais quand il arrive sur zone et qu’on lui annonce que son pote est mort, il voit rouge et la colère le consume. Dans un premier temps.

N’allez pas croire que tout va être simple. Le romancier aime les chemins de traverse. Les galeries de portraits. On s’y perd un peu parfois. Mais l’Arpad touch est bien là, toujours aussi incisive et trash. Pas de compromis possible avec le politically correct, Arpád Soltész dépeint des criminels, la lie de l’humanité, n’attendez pas de lui qu’il en parle avec une retenue British, pas sa cup of Tea. Ça baise, ça taille des pipes, les lieux sont pourris, les fringues ne valent guère mieux, et ça picole un maximum. Pendant, avant, après le service, il n’y a pas de temps mort pour les braves, il faut étancher la soif et la fureur. « Il n’y a pas eu d’autopsie. Ils l’ont habillé, lavé et fourré au frigo. Tout le procès-verbal est complètement inventé. » Voilà ce que dit le légiste de la morgue. Miki n’est pas surpris, il sait que ce système judiciaire fait tout pour protéger les assassins. En tout cas, les siens.

Miki a donc besoin de décompresser avant de perdre la raison et de faire des conneries. Il se rend au Shield, une salle de sport des bas-fonds. Il est le seul flic toléré. Ce soir-là, il veut se bastonner, il les veut tous ces criminels endurcis. On lui attribue le géant Nounours. Et Nounours, il aime pas les flics mais Miki a la rage. Il rosse le gorille le plus redouté de Bandi Farkas, le boss d’un gang local à Kosice (région natale de l’auteur, située aux confins extrême-orientaux du pays, près de l’Ukraine), il le détruit : « Les sports de combat et son travail ont ceci en commun : celui qui y prend seulement part sans l’emporter se fait descendre. » Miki porte l’insigne mais se bat comme un voyou. Pire. La violence transpire à chaque mot, chaque chapitre, l’écrivain ne décrit pas une jolie banlieue américaine, il n’est pas là pour nous parler d’un petit pays de l’ex-Union-soviétique auréolé d’une démocratie pure et dure et qui aurait éliminé les scories du passé comme on balaie la poussière devant de sa porte. La Slovaquie a fait du neuf avec l’ancien. 

Résultat, elle possède les acquis et gère aussi désormais les nouveaux acteurs d’une criminalité en plein essor. D’autant que l’horizon géographique s’est élargi. Albanie, Ukraine, Bosnie, n’en jetez plus, les frontières ont quasi disparu et les autoroutes filent sous un ciel gris-bleu vers des milliards d’euros. Avec des criminels qui savent désormais compter en bon capitaliste. Si la dope, la traite des femmes ou mieux encore aujourd’hui, la traite des migrants, restent des valeurs sûres dans le business du crime, les plus malins ont pris des cours et assimilé quelques règles fondamentales de l’ultra-libéralisme destinées à passer sous le radar des autorités du fisc. Miki n’est pas un flic borné, têtu oui, mais pas buté, il comprend qu’il a intérêt à ne pas foncer comme un taureau devant un chiffon rouge. Dans un deuxième temps.

Un autre homme est rongé par le virus de la morale, le journaliste Pali (diminutif de Pavol) Shlesinger.  Personnage emblématique et double de l’auteur que l’on rencontre dans son premier roman « Il était une fois dans l’Est », paru en 2019 et toujours chez Agullo/Noir. Il va recroiser le chemin de Miki. Après tout, ce n’est pas une mégapole. Il lui en arrive toujours de belle au gaillard, tabassage en règle par les flics ou les bandits, il demeure le poil à gratter de tous les puissants de la ville. Rien, jamais ne semble le décourager. Que Miki veuille faire alliance est plus troublant. Ce que Pali ne sait pas, c’est que cette fois, Miki a décidé de prendre son temps. Le SIS, Service de renseignements slovaque est dans la boucle. Sa tête est mise à prix, « l’Ingénieur », un redoutable et mystérieux sicario, est sur son dos. Miki va venger Moly en se servant autant de sa tête que de ses muscles avec pour objectif final :  éliminer un à un tous les gars impliqués. « Colère » est le troisième roman d’Árped Soltész. Intense, viril et sans compromis. Avec un zest de sagesse à la Sun Tzu pour mieux terrasser ses ennemis. Du grand art.

« Colère » d’Árpad Soltész, traduit par Barbara Faure, Éditions Agullo/Noir, 464 pages, 22.50 euros.

 

 

 

 

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