« Tous les silences » de Arttu Tuominen : le tabou de l’Histoire finlandaise

Ce n’est jamais une partie de plaisir. Découvrir que l’Histoire de son pays n’est pas une longue épopée honorable. La Finlande ne fait pas exception. Elle aussi a succombé aux sirènes macabres du nazisme lors de la Seconde Guerre mondiale. Tandis qu’Olivier Norek a choisi de célébrer la résistance en la personne du sniper finlandais, Simo ou la Mort Blanche, qui fit des ravages dans les rangs de l’armée russe, le romancier Arttu Tuominen a préféré crever l’abcès. Il s’est emparé de ce tabou national. Avec trois vieillards pas si inoffensifs que ça. 

Qui peut bien vouloir avoir enlevé Albert Kangasharju, ce charmant monsieur de 97 ans ? Erreur sur la personne, pense immédiatement son entourage. Comme le souligne avec une conviction sincère son infirmière et amie, à la maison de retraite où il finit ses jours. Dans un premier temps. Parce qu’à la deuxième tentative d’assassinat à l’hôpital où il a atterri, et après la course poursuite entre l’agresseur et l’enquêteur, le doute s’installe. Que vient faire le Mossad (Service de renseignement israélien) dans cette histoire ? Et si Albert n’était pas ce qu’il prétend, un vieil homme sans relief. On retrouve le commissaire Jari Paloviita, l’inspecteur Henrik Oksman et son adjointe Linda Toivonen, les autorités de la ville de Pori, au sud-ouest de la Finlande. L’affaire est curieuse. S’attaquer aux seniors, pas fréquent.

Le tâtonnement des enquêteurs et la lenteur intellectuelle avec laquelle ils emboîtent tant bien que mal les pièces du puzzle participent à la compréhension de ce déni collectif, voire de cette naïveté coupable. Il est toujours intéressant d’observer comment une nation se débrouille avec le récit de sa propre Histoire et quelle image elle veut garder et donner. La culpabilité est rarement l’affaire d’un seul homme, elle est souvent partagée. « Tous les silences » en est une solide illustration.

Un homme suit avec attention ce fait-divers relaté dans le journal. Klaus Halminen lit et relit les quelques lignes. Parce qu’il a compris. Et ce qu’il veut là tout de suite, c’est foutre le camp. Trop tard. On frappe à la porte d’entrée. Deux morts, même âge, même nœud de corde, deux anciens combattants de la dernière guerre. Les policiers commencent à entrevoir une piste. Et nous, les lecteurs, on découvre avec grand intérêt l’histoire vraie sur laquelle repose en partie ce roman.

Dès 1939, la Finlande a fait l’objet de toutes les convoitises du voisin soviétique. Staline s’est lancé dans l’aventure hasardeuse d’envahir ce petit pays qu’il considérait avec dédain, mais comme le sien, pour empêcher l’Allemagne nazie de s’étendre et d’arriver jusqu’à Moscou. Une guerre propre et rapide. On parle de cette période comme La Guerre d’Hiver. Un autre dirigeant russe, un certain Vladimir Poutine, tiendra à peu près le même raisonnement envers l’Ukraine, des années plus tard. Cette fois, pour contrer l’influence américaine et ses alliés sous le parapluie de l’OTAN. Encore une histoire de frontière. Pour gagner ce combat, l’Allemagne nazie recrute des éléments étrangers afin de battre le démon bolchevique qu’elle a bien l’intention d’anéantir puis de posséder. Ce sont les Jägers qui s’engagent alors dans la Waffen-SS, les troupes d’élite d’Hitler. En 1941, ils sont mille quatre cents hommes à partir en Allemagne afin de recevoir une formation au maniement des armes. Que des volontaires. 

Le voilà le dénominateur commun à ces deux vieillards. Le poids du passé mais pas n’importe lequel, celui qui dérange, celui qu’on n’ignore ou que l’on ne veut surtout pas voir resurgir. Il faut donc un professeur d’histoire qui éclaire les policiers. Ce sera Matti Ilvonen du musée de Satakunta. Linda se charge d’aller l’interroger. Elle ne reste pas insensible au charme de ce quinquagénaire un peu loufoque. Mais incollable sur le sujet. Il lui parle du « Panttipataljoona », « Le bataillon de garantie », écrit par l’historien Mauno Jokipii, en 1968. Plus de 900 pages sur la division Viking et les volontaires finlandais qui ont servi dans la SS.  » Jokipii brosse un tableau dans lequel les Finlandais ont seulement été les témoins d’actes génocidaires et de purification ethnique. » Problème. Rien ne s’est passé comme tel.

L’opération Barbarossa. Une guerre d’annihilation menée par la Waffen-SS et la Wehrmart, de juin à décembre 1941 et au cours de laquelle entre cinq cent mille et huit cent mille Juifs ont été assassinés. Impossible que les volontaires finlandais n’aient pas participé à ces crimes. Mais c’est un véritable tabou dans le pays. Il fallait bien un bon polar pour mettre les pieds dans le plat. Des nazis, le Mossad, et la grande Histoire est mise à nu. À travers ces personnages qui incarnent tour à tour de jeunes nazis pris sur le vif en 1941 puis ces mêmes hommes devenus d’innocents vieillards, en 2019, on assiste à la reconstitution sans pitié de leurs crimes. La preuve, encore une fois, que le roman noir va bien au-delà de sa fonction première, le divertissement. Et qu’il peut comme « Tous les silences » contribuer à la vérité. Et parfois au pardon.

« Tous les silences » de Arttu Tuominen, traduit du finnois par Claire Saint-Germain, Éditions de La Martinière, 467 pages, 22 euros.

 

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