« Les Carnets du Congo » de Nikolaj Frobenius : mercenaires soldats ou assassins ?

La Norvège a été secouée par cette affaire. Deux ex-soldats norvégiens, Tjostolv Moland et Joshua French, sont arrêtés en 2009 puis condamnés à mort pour le meurtre supposé de leur chauffeur, sur une piste déserte en République démocratique du Congo (RDC). Nikolaj Frobenius, auteur du célèbre thriller Insomnia, repris par les Américains dans un film avec Al Pacino, s’empare de cette histoire et en brode une nouvelle. Vérité, mensonge, où se situe le curseur ? Qui traficote les faits ? La justice congolaise ou les deux mercenaires pris au piège de leur propre récit ? Celui qu’ils veulent livrer ou celui qui s’est réellement passé ?

Le narrateur est Nikolaj Frobenius. Il imagine que son double est approché par Jasper Gahn, un réalisateur qui, sans doute pour revenir sur le devant de la scène, veut tirer un scénario de cette affaire aussi médiatique que sulfureuse. Ce dernier lui propose de se rendre au Congo afin d’interroger les deux hommes. Le narrateur se pose d’emblée les questions habituelles : étaient-ils des aventuriers, des chercheurs d’or, des mercenaires ou encore des racistes… Là, commence, peut-être, le malentendu entre l’écrivain et le réalisateur. L’un veut juste un bon script pour en faire un film, alors que l’autre s’échine à découvrir la vérité.

La première rencontre a lieu à Kinshasa, la capitale, au cours de l’été 2013. Il se rend à la prison de N’Dolo. Il est surpris de constater que les deux hommes, tous deux vêtus de la tenue verte et orange, affichent un air tranquille et sont en bonne santé. Leur postulat de départ est limpide. « On se considère comme des soldats en activité. Pas des détenus. » Puis pendant trois jours, de 10 heures du matin, à deux heures de l’après-midi. Le quatrième jour est perturbé. Il y a une bagarre dans l’enceinte de la prison. Très vite, les entretiens s’avèrent insatisfaisants pour le romancier. Les notes qu’il prend consciencieusement le font réfléchir. « Y avait-il matière à faire un film, je n’en savais rien. Je partais du principe que Jasper entendait par “histoire” un récit clair qui mettrait en scène des conflits explicables et des personnages aux motivations compréhensibles pour tout le monde. » Pour lui, rien ne vient. Le doute s’installe, les soupçons, comment peut-il écrire sur des sables mouvants sans connaître les faits. Les vrais. « Qu’est-ce que je peux faire ? Dépeindre une impression viscérale de solitude dans le pays. Je commencerai par-là : écrire comme si c’était un roman. » Ce n’est clairement pas la préoccupation principale de de Jasper.

Alors, il imagine les deux aventuriers à moto à l’approche de Kisangani. Mai 2009, province de l’Est. La panne, la voiture avec un chauffeur marié et six enfants. Et une piste devant eux, d’un noir d’encre. Ils passent la borne 102, puis 106. C’est à la 109 que tout déraille. Un coup de fusil, le chauffeur Avedi Kasango, mort. « Ce récit, on l’avait entendu et lu à de multiples reprises. Mais qui disait la vérité ? » Jasper attend de la fiction, le narrateur s’obstine à découvrir le vrai. Il ne leur ressemble pas mais le syndrome de Stockholm fonctionne. Il éprouve de la sympathie pour eux. Il s’égare. Il le sait.

Plus le temps avance, plus la condition des deux prisonniers se détériore. Et plus l’écrivain se sent manipulé, incapable de contrôler ce récit qui ne peut qu’exister dans son imagination. Les deux hommes sont condamnés, l’affaire se corse, l’un meurt et l’autre est accusé de l’avoir tué. Joshua French sera finalement libéré après une caution versée par le gouvernement norvégien. Nikolaj Frobenius se pose la question. « L’intérêt de l’écriture n’est pas d’avoir raison. Chercher est un but en soi. » Et il cherche, le narrateur. Il se souvient de son passé de petite frappe, de ce moment où il aurait pu mal tourner, s’il n’avait pas eu un terrible accident. Est-on maître de son destin ? Les deux hommes, quant à eux, ont une perception catégorique de ce qu’ils ont été : « Nous étions des soldats, pas des criminels. » Nikolaj Frobenius n’a aucune idée de ce qu’il doit ou aurait dû croire.

« Les Carnets du Congo » de Nikolaj Frobenius, traduit du norvégien par Françoise Heide, Éditions Actes Sud, 320 pages, 22.80 euros.

 

 

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