Anciens soldats, mercenaires et scènes de braquage à la Michael Mann, Deon Meyer ne lésine pas sur les moyens pour nous tenir en haleine. Et ça marche encore. Sur près de 700 pages, le romancier sud-africain exorcise les démons de sa propre angoisse en nous parlant d’un pays rongé par la corruption mais en partie sauvé par des personnages restés droits et honnêtes : les policiers Benny Griessel et Vaughn Cupido.
Même si les atermoiements amoureux de Benny sont un peu longs, Deon Meyer prouve que décidément l’expérience est une valeur sûre. Caméra/stylo à l’épaule, il nous promène dans les coins reculés de son pays et nous fait fréquenter des gens parfaitement infréquentables. Comme Christina Jaeger, Brenner, Igen Rousseau, Themba Jola ou encore Jericho Yon. Un groupe de sacrés lascars comme on en croise sur tous les terrains où la guerre se prépare, fait rage ou s’achève. Des terrains où les ressources minières appâtent les chefs de guerre locaux et les grandes corporations internationales. Le groupe s’est réuni, non pour jouer aux cartes, mais pour un braquage qui devrait les mettre à l’abri pour un bon moment. La préparation est millimétrée et militaire. Rien ne va se passer comme prévu.
Le corps d’une femme est retrouvé sur les hauteurs de Stellenboschberg. Elle a des traces de morsure sur les jambes. Celles d’un chien, un gros chien. Les enquêteurs Benny Griessel et Vaughn Cupido qui rêvent de retourner chez les prestigieux Hawks sont envoyés par le bureau des enquêteurs de Stellenboschberg dont ils dépendent encore (un peu comme s’ils avaient été punis pour être trop honnêtes). Les chiens écrasés, les vols, voilà leur quotidien, désormais. Mais comme ils sont bons et intuitifs, ils se disent qu’il y a un truc qui cloche dans cette histoire. Une voisine leur donne un coup de pouce. Son voisin, Basie Small, un voyou selon elle, un avocat, possède un molosse. Et voilà la mécanique Meyer lancée à toute berzingue.
Le gars n’est pas sympathique. Mais de là à finir sur le sol entre sa cuisine et son salon, raide mort, avec de la mousse dans la gorge. Quand même. Violent comme mise à mort. Les deux policiers prennent contact avec la sœur de la victime, Emilia, qui devinent-ils tout de suite, leur cache des choses. Ils avancent lentement comme dans une véritable enquête. Le coffre du défunt leur apporte une première piste. Un passeport avec des visas révélateurs, Mozambique, République démocratique du Congo, États-Unis et des devises, rands, dollars et euros. De quoi les faire cogiter, les aider à cerner le personnage. Néanmoins, le contenu du coffre n’est clairement pas l’objet du crime. La mort de Dewey Reed qui s’est produite dans sa ferme située sur la partie côtière la plus fertile de l’Eastern Cape, serait-elle une bonne piste ?
Si Benny et Cupido vont mettre du temps à assembler les pièces du puzzle, Tau Berger, en revanche, a tout compris. On n’échappe pas à son passé. Prévenu par la sœur Emilia Small, l’ancien mercenaire sait très bien qu’il existe une liste et qu’il est le prochain. Ce qu’il n’a évidemment pas l’intention d’honorer. Avec ce dingue, parce qu’il est vraiment cintré, on plonge dans le monde des gars qui rencontrent quelques difficultés de réinsertion de retour dans la vie normale. Des gars en PTSD. Et si l’on en croît l’écrivain, l’Afrique du Sud semble regorger de ses hommes au courage certain mais aux intentions discutables, et qui pactisent souvent avec les plus hauts dirigeants corrompus du pays. Deon Meyer adore cette terre ocre traversée par une histoire mouvementée. Mais il est aussi sans pitié, dénonçant depuis des années la corruption endémique qui s’est installée après la fin de l’Apartheid. On retrouve cette angoisse dans “Leo” qui, sous des dehors d’un polar survolté, envoie un message assez sombre de ce qui se produit en Afrique du Sud.
“Leo” de Deon Meyer, traduction de l’afrikaans par Georges Lory, Éditions Gallimard/Série Noire, 620 pages, 23 euros.