« Le Prêtre et le Braconnier  » de Benjamin Myers : du vrai Noir apocalyptique

Le drame. Une muette, une simplette, la petite Bulmer, employée comme bonne chez les Hinckley, a fugué avec le bébé de la famille. Pourquoi et où demande le Prêtre. Celui dont « la bouche est une entaille dans le visage comme si la chair avait été étirée en travers du crâne puis fendue avec un couteau. » Celui qui se considère comme le bras armé d’une justice divine revisitée.

Ne vous fiez pas à la couverture de ce roman noirissime. Il n’y a rien de pastoral chez « Le Prêtre et le Braconnier ». En quelques phrases, la puissance du style de Benjamin Myers vous saisit à la gorge. Comme l’assassin fondant sur sa proie. C’est le souffle de l’Apocalypse. Le Prêtre est têtu, il connaît les hommes et leurs âmes insondables. Il veut comprendre pourquoi une orpheline de St Mary’s, a pris le risque de faire ce qu’elle a fait. « Vous l’avez touchée ? », demande-t-il à Tommo Hinckley, le père de l’enfant. « Pas comme ça », rétorque ce dernier. Le Prêtre accepte, habité par cette mission qu’il juge au-dessus des homme. Il embarque le Braconnier dans cette chasse à la femme. Et une odeur. Un haillon. Celui de l’affligée de l’orphelinat de St Mary’s.

Elle a fui dans les « fells ». Elle trouve refuge d’abord chez un fermier grossier puis un couple qui s’abrite dans une tente. Elle poursuit sa route. Elle marche avec l’enfant magie. On apprend que la femme de Hinckley était malade, incapable de s’occuper du nouveau-né, que lui buvait, qu’il était violent et qu’elle avait décidé de défendre ce nourrisson qui, jour après jour, devenait de plus en plus le sien.  » Elle se sentait liée à cette minuscule créature, les sentiments grandissait au fur et à mesure que la saison verte se répandait à travers la ville et en haut des « fells ». L’amour pour l’autre lui était nouveau mais elle était consentante. Et cela lui plaisait. Elle se mit à penser, rêver, oser. Un avenir à deux, rien qu’elle et le bébé.

Le Prêtre est un pécheur. Il a fait confiance au pharmacien qui lui a donné un nouveau médicament. « Trois fois par jour, lui dit-il, et revenez dans quinze jours. » Le Prêtre s’est précipité six jours plus tard. Accroc à la cocaïne. Lui, l’homme d’église prompt à dénoncer les fautes chez les autres, à brandir une vertu frelatée en étendard. Alors qu’il incarne le Mal. On apprendra plus tard qu’il est un prêtre franc-tireur. 

Pendant ce temps, l’orpheline et le bébé avancent dans leur périple improvisé. Après le fermier grossier, le couple sous la tente, elle croise le chemin de Monsieur Tom Salomon, un professeur des bois, l’homme des cavernes. C’est ainsi qu’il se présente à elle. Elle n’a jamais entendu quelqu’un parler comme ça. De façon ampoulée. C’est du moins ce qu’elle dirait, si elle connaissait le terme. Il lui donne une couverture. Pour le bébé. Elle lui tend la petite patate qu’elle garde précieusement dans son sac. Il lui dit :  » Gardez la, c’est une patate de compétition, elle cuira joliment à la braise. » La fusion entre elle et l’enfant s’opère. Il rote, elle rote, il dort, elle aussi. Il a faim. Très faim. Elle trouve toujours une solution. Elle est d’une intelligence et d’une inventivité redoutables. 

De leur côté, le Braconnier et le Prêtre s’affrontent. Le premier est infirme, il marche lentement. Le second est une ordure qui porte l’habit. Les pires. Les échanges entre les deux sont des coups de cutter. Saignants. C’est une équipée sauvage menée avec férocité et folie. Le Prêtre est dans la toute puissance, celle que lui confèrent son titre et son statut dans la société. Il s’autorise un droit de vie et de mort sur des ouailles qui ne sont pas les siennes. C’est un tueur. Le Braconnier est un chasseur. Leurs proies ne sont pas les mêmes. Le texte de l’écrivain a comme été frappé par la foudre. Les personnages se sont figés dans une souffrance et une douleur qui leur est propre. La fin est furieuse. Emportée par des flots déchaînés. Il n’y aura pas de miracle. La main du diable sera la plus forte.

« Le Prêtre et le Braconnier », de Benjamin Myers, traduction de l’anglais par Clément Baude, Éditions du Seuil, 288 pages, 23 euros.

 

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