C’est une écriture qui suinte la testostérone. Davide Longo n’a pas la plume mièvre. Elle est trempée dans la barbaque, elle se moque des conventions, elle rayonne, touffue et lumineuse, elle lui appartient. « Une Colère simple » troisième tome d’une série commencée avec « L’Affaire Bramard », est un super antidote au conformisme ambiant.
Ses personnages aussi. Il fallait bien des êtres curieux pour incarner cette brutalité verbale d’un polardeux italien bien différent de ses compatriotes. Rien ne peut avoir l’air banal ou normal chez Davide Longo. Prenez le chien Trepet ou la psy Ariel à la limite du surréalisme, ces deux-là frisent la dinguerie. Son héros emblématique, Corso Bramard, encore à peine vivant en raison d’un drame personnel passé, coule des jours plus du tout tranquilles dans sa ferme, « là, où la terre se fait rouge ». Il souffre d’un cancer. Il attend la mort. Cela n’empêche pas Vincenzo Arcadipane de venir demander conseil à cet ancien mentor. Même si le commissaire sait très bien que les avis de Corso seront à déchiffrer. L’ancien flic est compliqué, il faut le mériter, lui et ses recommandations. Parce que si l’affaire a paru simple – on a arrêté le présumé coupable assez vite – en réalité, il y a erreur sur la personne.
On avait quitté Arcadipane plutôt mal en point, embourbé dans un mariage à la dérive. C’est fait, il a divorcé, il a 55 ans. Désormais, il passe tous les 12 du mois chez son ex, fort patiente si l’on considère que le divorce a eu lieu deux ans auparavant, afin de lui déposer une enveloppe avec de l’argent. Lui a trouvé refuge chez une vieille dame, une sorte de colocation baroque avec une propriétaire qui l’oblige à s’asseoir sur les toilettes comme une femme. Il a repris le chemin de celle qu’il déteste, la psy Ariel, la dingue, qui lui a ordonné de s’inscrire sur un site de rencontres. Inutile de dire qu’il n’est pas le bon candidat. Non pas que les méthodes old school lui réussissent davantage. Il n’y met juste pas assez de cœur.
Une femme a donc été rouée de coups à la sortie du métro près de la gare de Turin. Voilà le début de son enquête. Il est assisté de Pedrelli qu’il traite sauvagement comme Corso à son égard, dans un temps pas si lointain. En panne d’intuition, il fait appel à l’agente Isa Mancini qui, elle aussi, a cru prendre une sorte de retraite anticipée avant de replonger aussi sec dès que Arcadipane l’a sollicité. Dans leur virée allumée, ils prennent contact avec un ex-flic, Luigi Normandia, qui a travaillé sur des cas similaires mais qui a la réputation d’être totalement barré. Il ne s’exprime d’ailleurs qu’à grands coups de citations obscures et très bibliques.
Tous ses efforts mis bout à bout les conduisent sur la toile du Dark Net. Un choc culturel pour Arcadipane, un challenge vivifiant pour Isa. Il est question d’un jeu mortel où les participants ne se connaissent pas mais alignent les cadavres. Qui tire les ficelles ? Davide Longo barre tantôt à gauche, tantôt à droite, au gré de la force du vent et surtout de ses humeurs, du moins se l’imagine – t – on, seul face à la feuille blanche ou l’écran blanc. On le rêve fébrile, parfois en colère, en fusion avec ses personnages. Incapable de se conformer aux normes. Et c’est tant mieux. Ne changez rien Davide Longo.
« Une Colère simple » de Davide Longo, traduit de l’italien par Marianne Faurobert, Éditions du Masque, 400 pages, 22,50 euros.