« Shell Shock » de Michaëla Watteau : les gueules cassées, l’obusite et la Grande Muette

Ne vous fiez pas à la couverture. Deux visages en noir et blanc et encadrement doré style Art déco, marqueur des Années folles. Ce qui est vrai. Mais réducteur. Parce que le roman de Michaëla Watteaux, « Shell Shock », vaut largement plus que cette légèreté visuelle, et cette analyse rapide et sommaire. Sur fond de lutte des classes et d’une intrigue classique de tueurs en série, la romancière dévoile la double peine des rescapés de 14-18. De ceux qui ont survécu la gueule cassée ou le corps plié en deux, incapables de se relever et pourtant sans lésion apparente. Mais à la merci d’une justice militaire sans pitié. 

Ces soldats revenus morts-vivants des tranchées de la Grande Guerre. Vivants parce que debout, morts parce que obligés de dissimuler leurs visages détruits par des bombes, et qui aujourd’hui suscitent peur et répulsion chez tous ceux qui les approchent. Lorsque le roman débute, on fait la connaissance de la journaliste, Jeanne Duluc, de l’inspecteur de la Brigade criminelle Paul Varenne, de la psychanalyste Mathilde, et des femmes du Central téléphonique Gutenberg. Comme Tatiana Darmon, grande gueule, fâchée avec le syndicaliste de la CGT PTT, mais qui n’a pas son pareil pour amadouer les messieurs ronchons qui râlent contre les grésillements d’une mauvaise connexion. Leurs abonnés sont souvent célèbres, Colette ou Jean Cocteau notamment.

Mais Tatiana est tuée, retrouvée avec un masque sur le visage. Un masque qui ressemble fort à celui que porte le gardien du Central Gutenberg et gueule cassée, Étienne Mangin. C’est Jeanne qui en informe l’inspecteur Varenne. Pour les besoins de son enquête, elle s’était fait embaucher au Central, elle en connaît donc un peu le fonctionnement. Très vite, la presse embraye et titre ,« Le nouveau crime du tueur des Halles ». Jeanne a justement pour amie de cœur cette Mathilde. Qui elle-même a pour oncle le très puissant et brillant neurologue Gustave Soyrus qui a œuvré pendant la guerre, en tant que médecin militaire et a même obtenu la croix de guerre. La psychanalyste a pour patient/patiente, Antoinette, une créature divine, capricieuse et torturée et chanteuse. L’inspecteur Varenne qui trimballe de très mauvaises habitudes, coke et héroïne, n’est pas insensible à ses charmes ambigus. Lui qui ne vit pourtant que dans le souvenir de sa Marguerite. Comment ces personnages sont-ils liés ? La romancière est habile. Tout se met magnifiquement en place. Comme une évidence.

Mais là encore, ce ne sont qu’apparences. Sous couvert d’un bon petit roman policier, Michaëla Watteaux qui situe son action dans un Paris en ébullition artistique nous éclaire sur le sort de ces hommes broyés par une guerre dévastatrice et qui pour certains ont eu le malheur de passer entre les mains de docteurs, genre Mengele à la Française. Des sorciers à qui la Grande Muette a donné le pouvoir sans limite de soigner par électrochoc. Un corps médical médusé par ces soldats ramassés sous des piles de cadavres dans les tranchées, sourds, muets et souvent en position fœtale, tous frappés d’obusite. Non contents de les faire légalement torturer, les huiles militaires, convaincus que ces « déchets » étaient au bout du bout un déshonneur pour la France, ont même parfois préféré les passer par les armes. Si nécessaire. « Shell Shock », c’est un peu comme du Canada Dry. Le goût et l’allure d’un roman policier. Mais pas que. En ces temps de sérieux bruits de bottes, la romancière née en Suède et qui signe son premier roman historique, nous rappelle que la folie n’est pas l’apanage des criminels, et que parfois, ces derniers se cachent derrière un savoir et une blouse blanche. Comme d’autres derrière une grande table ovale. À consommer sans modération. 

« Shell Shock, Meutres au Central Gutenberg » de Michaëla Watteaux, Éditions BlackLAB, 352 pages, 21,90 euros.

 

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