La régularité d’un métronome. R. J. Ellory sort des romans à cadence soutenue. Un, quasiment chaque année. Ce qui en soi est déjà une belle performance. Mais là où l’écrivain anglais peut en scotcher plus d’un, c’est par la qualité de ses écrits. « Everglades » coche encore une fois toutes les cases.
Floride. L’État de Disneyland, l’État qui donne souvent toutes ses voix au président Donald Trump. Le shérif adjoint Garrett Nelson s’apprête à changer de vie. Mais il ne le sait pas encore. Il lui faudra attendre une mauvaise nuit et une journée, avant la fusillade fatale. Pour une histoire de drogue. Son supérieur l’avait prévenu. « Fais bien attention. La drogue, c’est pourri, et le trafic de drogue c’est un trafic de pourris ». Il aura raison. L’opération où Garrett Nelson n’était qu’en appui, parce que dirigée principalement par la Drug Enforcement Administration (DEA), foire dans les grandes largeurs. Garrett tue un homme et est lui-même blessé par balle. Il s’en sort mais traînera la patte toute sa vie. Adieu l’étoile du shérif.
Que faire ? Une kinésithérapeute l’a bien torturé à sa sortie d’hôpital, l’empêchant ainsi de s’apitoyer sur son sort. Une petite marrante avec la langue bien pendue. Elle le prévient, pas question de la draguer. Hannah Montgomery a grandi avec quatre frères, elle connaît la musique. Mais le convalescent sait y faire ou il n’y aurait de roman. Hannah parle de son père qui est gardien de prison. Il pourrait lui trouver du travail. Florida Southern State lui apporterait un salaire décent et une assurance santé. Vitale en ce qui le concerne. Hannah ne lui parle pas du couloir de la mort. Deux histoires en une. Joliment amenées. L’amour et la mort. Le romancier observe les gens à la loupe. Ils sont toujours traversés de fulgurances qui peuvent être aussi noires que lumineuses. Southern State incarne le désespoir. La romance que Hannah et Garrett n’attendaient plus eux-mêmes, sera l’espoir.
Maton, voilà donc ce qu’il est devenu. « La différence entre sa carrière passée et sa carrière actuelle, c’est qu’il baignait désormais dans un environnement totalement criminel ». L’ancien homme de loi qu’il est, se glisse dans cette nouvelle peau sans trop de problèmes. On lui a indiqué ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Il s’y tient. Un temps. Au point d’être placé rapidement dans le bâtiment des condamnés à mort. Sa première exécution sera effrayante. « Nelson avait fait tout ce qu’il fallait pour exorciser le souvenir de cet événement. Peut-être dans le but de s’expliquer pourquoi il continuait à faire ce travail, ou de trouver une justification personnelle à la peine de mort, Nelson prit le temps de comprendre les crimes des condamnés ». C’est ainsi qu’il franchit la ligne rouge.
Il échange avec l’un d’entre eux. C. J. Whitman. Noir et jugé coupable de meurtre au premier degré. À l’époque des faits, il avait 19 ans, il en a 26 aujourd’hui. Pas d’aveux, que des preuves indirectes. Il est pourtant broyé par la machine judiciaire. Garrett est troublé par le jeune homme. Y aurait-il eu une erreur ? Il franchit une deuxième ligne rouge, lui qui n’est plus policier, il enquête sur le cas de ce prisonnier modèle qui ne se défend pas.
Gardien dans le couloir de la mort est propice à la réflexion, à l’introspection. Hannah parle d’avoir un enfant. Dans un monde comme celui-là. Est-ce bien raisonnable? Florida Southern State empoisonne leur relation. Il lui est de plus en plus difficile de laisser les odeurs, les visages, les images des mises à mort lorsqu’il rentre le soir. Il y a ceux pour qui on n’a aucun doute. Et puis les autres, comme Whitman qui demeure une énigme aux yeux de Garrett. Surtout quand le détenu lui pose cette question : « Est-ce que avez parfois l’impression d’être un prisonnier, monsieur Nelson ?
Voilà ce qui intéresse R. J. Ellory, les paradoxes, les contradictions, les subtilités. Comment peut-on considérer qu’un tel ne manquera pas à la société et que tel autre, au contraire, ne devrait pas se trouver dans le couloir de la mort. « Everglades » n’est pas un pamphlet politique, ce thriller est bel et bien une profonde réflexion sur la nature criminelle d’un individu et sur l’application de la peine de mort. Le milieu carcéral ne réhabilite personne, les études sont unanimes. Il n’est pas davantage fait pour les soigner. Mais il est la seule solution que la société ait trouvée jusqu’à présent pour se protéger des hommes du genre de Florida Southern Gate. Il est peut-être temps d’envisager la punition sous un autre angle que la répression absolue et la condamnation à mort qui va avec.
« Everglades » de R. J. Ellory, traduit de l’anglais (États-Unis) par Étienne Gomez, Éditions Sonatine, 456 pages,24 euros.