Ne pas se fier aux apparences. Le nouveau roman de Abir Mukherjee en fait une brillante démonstration. Il en sait quelque chose, lui écrivain né à Londres, d’origine bengalie hindoue, mais ayant grandi en Écosse. Il suffit d’avoir une barbe un peu fournie et une peau foncée pour être catalogué de dangereux djihadiste. Le créateur de la série de Wyndham & Banerjee qui se déroule principalement à Calcutta, en Inde, tord le cou aux idées préconçues et revient avec « Les Fugitifs ». Un thriller où les méchants ne portent ni hijab, ni shawal qamis.
« Rien de bien ne s’obtient sans mal ». Yasmin et Jack sont dans un centre commercial à Los Angeles. Elle est nerveuse. Il la rassure. Il lui fait toujours cet effet là. Le plan est simple : déposer les bombes et repartir ensemble. Parce « qu’il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah et Muhammad est son prophète ». Explosion. Soixante – trois morts, cent quatorze blessés. Quinze ans et quatre mois au FBI et l’agent Shreya Mistry n’a jamais vu ça. Elle anticipe déjà les réactions. Ses patrons et l’Amérique profonde vont s’empresser d’affirmer que c’est « encore un coup des musulmans ». L’auteur britannique s’attaque encore une fois aux préjugés. Après cinq romans réussis et une des plus jolies trouvailles en termes de duo de détectives de ces dernières années, Abir Mukherjee explore la radicalisation à l’échelle locale et mondiale. Souvenez-vous, Shamima Begum, une jeune Britannique de 15 ans d’origine bangladeshi. Elle se fait embrigader par Internet dans la spirale de l’État islamique, en Syrie (Daesh). L’Angleterre découvre effarée cette adolescente partie rejoindre Daesh. Elle se marie avec un Néerlandais converti, donne naissance à trois enfants qui meurent tous. Déchue de la nationalité britannique, elle croupit aujourd’hui dans un camp dirigé par les autorités kurdes. Abir Mukherjee s’est souvenu de cette histoire dramatique. Mais il l’a monté à sa sauce. Une des protagonistes du roman se nomme Munira Begum. Et cette fille a une sœur, Aliyah. Leur père, Sayid, est un gentil monsieur qui affronte sa femme en permanence pour que ses filles s’émancipent physiquement et intellectuellement. Se servir de l’actualité près de chez lui pour échafauder une intrigue dont la suite va se dérouler loin, de l’autre côté de l’Atlantique, voilà ce que le romancier a imaginé. Et cela fonctionne parfaitement.
On est à une semaine de l’élection présidentielle. L’Amérique a rendez-vous avec son Histoire. C’est du moins ce que pense un groupe de factieux pour qui tous les moyens sont bons afin de restaurer la grandeur de leur pays. Faire croire aux Américains que les musulmans sont à la source de ces attentats kamikaze fait partie du jeu. Mais Shreya Mistri, l’agente du FBI, trouve la piste des musulmans radicaux bien trop évidente. Elle creuse et comme en plus elle se moque des ordres ou consignes, elle comprend assez vite qu’elle n’a pas tort. Une certaine Miriam semble être à la manœuvre. Une bonne Américaine. Abir Mukherjee a laissé tomber ses deux héros masculins précieux et fétiches de ses romans précédents et mis en scelle une héroïne musclée et un peu assise entre deux chaises. Si Shreya Mistri se sent américaine à 200%, la preuve, elle sert au FBI, elle craint les amalgames dès qu’il s’agit de l’islam. Elle n’a pas tort. Mais c’est aussi ce qui va la sauver. Parce qu’elle sera bien la seule avec les parents de deux êtres en perdition, à mettre en doute la piste des terroristes musulmans. « Les Fugitifs » est le premier thriller contemporain de l’auteur. Jusqu’ici, on était resté en Inde sous occupation britannique. Le bon en avant dans le temps réussit plutôt bien à Abir Mukherjee qui a décidé de nous emmener loin du vieil empire, pour une jeune nation qui ne tourne pas forcément mieux. À croire que l’on apprend jamais rien. Mais sur le plan littéraire, les méchants ont souvent fait de bons romans.
« Les Fugitifs » de Abir Mukherjee, traduit de l’anglais par Pierre Reignier, Éditions Liana Levi, 416 pages, 23 euros.