« Hot Springs Drive » de Lindsay Hunter : anatomie d’un meurtre domestique

Au fond, c’est un roman sur le contrôle. À travers le poids. En gagner, en perdre. Jusqu’à la folie. Le corps sort de son invisibilité. Il redevient objet de désir. Mais est-ce si vrai ? Lindsay Hunter excelle à nous décrire une banlieue américaine où derrière les haies et dans les maisons se cachent des couples à la dérive. Symboles crépusculaires d’une nation qui étouffe. À travers l’histoire de deux couples de la classe moyenne, la romancière pulvérise encore un peu plus une Amérique qui ne fait plus rêver depuis longtemps

Le premier chapitre est juste magistral. La romancière fait les présentations de cette narration chorale. Elle commence par Theresa Linden. Elle a sept ans, puis dix-huit, vingt-deux, vingt-six… À trente-deux ans, elle se marie avec Adam, rencontré deux ans auparavant. Elle a une fille, Cecilia. Puis une amie, Jackie, qu’elle a connue à la maternité et qui deviendra l’ennemie. Theresa meurt assassinée dans son propre garage. Dans cette maison, parmi toutes les autres de Hot Springs Drive. Le drame est balayé d’un revers de chapitre par Lindsay Hunter. Léger affolement et questionnement, comment va-t-elle s’y prendre pour nous garder en alerte, après avoir tué aussi rapidement.

Lindsay s’intéresse maintenant à la voisine, l’amie, Jackie Stinson qui elle aussi a un mari, Nick, et quatre enfants. Lorsqu’elle rencontre Theresa la première fois à la maternité, elle se souvient qu’elle l’a aimée immédiatement. Mais « n’est-ce pas comme de cette façon que débutent les haines les plus violentes ? » D’ailleurs, selon Jackie, c’est la faute de Theresa. Elle, qui a eu l’idée d’aller chez Get Skinny, un programme de perte de poids, parce qu’elle croit pouvoir combler le vide qui l’habite en perdant quelques kilos. Gavée de junk food, essoufflée en faisant les courses, incapable de rentrer dans un seul de ses pantalons, la situation physique de Jackie, il est vrai, n’est pas forcément plus reluisante. Alors elle accepte de l’accompagner. La femme qui les accueille s’appelle Pepper. Elle est jolie. Elle a les bras gélatineux. « Je vais vous peser, dit-elle, et vous serez fin prêt ». Jackie est surprise. Pepper poursuit. « On confond souvent la faim avec tout un tas d’autres choses. Donnez-lui un autre nom ». Jackie a encore de beaux seins. Elle a envie que quelqu’un d’autre qu’elle où que Nick les voient. « Au lieu de faim, j’allais appeler ça désir. C’était ça, mon point de départ. J’allais devenir accro ». Son régime va précipiter la tragédie.

De la faim naîtra le désir. Celui de la chair pour le mari de Theresa. De la faim naîtra la perte du sens des priorités. Elle n’est plus mère, elle n’est que chair et stupre. Les enfants s’en inquiètent. Le plus grand, Douglas, adolescent perturbé, prisonnier des pulsions de sa mère, s’enfonce, victime collatérale d’un drame en mouvement. Un adultère, classique, ordinaire. Une amie en trahit une autre. Perte des repères, disparition de soi. Le corps de l’autre est perçu comme une planche de salut, comme un retour à sa propre identité. Mais la puissance du roman de Lindsay Hunter vient de son habileté, de son talent, de son souci du détail et sens de l’observation aiguë pour ne pas dire assassin. « Hot Springs Drive » est une métaphore cruelle du pouvoir et du contrôle. Jackie, personnage autocentré, préfère rester affamée. Elle se sent vivante, désirée. Manger trop ou pas assez. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond en Amérique ?

« Hot Springs Drive » de Lindsay Hunter, traduit de l’anglais (États-Unis) par Heloïse Esquié, Éditions Sonatine, 320 pages, 22 euros.

 

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