« Dans l’ombre du Kremlin » de Jack Beaumont : contrecarrer les plans de Vladimir

Jack Beaumont est un pseudonyme. L’auteur a été pilote de chasse dans l’armée de l’air française puis espion au sein de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). On nous dit aussi qu’il vit désormais en Australie et qu’il a franchi le cap de l’écriture en s’appuyant sur une réalité « glaçante ». Dans l’ombre du Kremlin évoque sans doute son double littéraire. Le récit est enlevé et éclaire un point de vue intéressant sur la vision du romancier de la guerre en Ukraine. Rien que pour ça, le roman vaut largement le détour.

Tout commence par ce que ne doit jamais faire un homme de l’ombre lorsqu’il rentre de mission, même fatigué. Prendre un taxi à l’aéroport pour aller directement chez lui. Non, ce qu’il ou elle doit s’obliger à exécuter, c’est prendre les transports en commun et s’assurer ainsi que personne ne lui file le train. Mais Paul Degarde en poste à Prague est cuit, pressé de voir sa famille. Il déroge à la règle. Il est aussi impatient de se rendre à la Boîte afin de remettre en mains propres les quatre pages ultraconfidentielles, que sa source, Lotus, lui a donné. On y mentionne une réunion au sommet sur un bateau en Méditerranée, le Azzam.

Ce n’est pas Alec de Payns qui commettrait ce genre de bourde. Il est considéré comme le meilleur dans son genre par La Boîte. Dominique Briffaut est son patron et dirige la division Y. Il informe Alec qu’un de leur agent leur a fourni des informations sérieuses. « Il semble que les Russes déploient ces nouveaux drones d’observation à Khmeimim, en Syrie ». Cela veut dire une chose : la Russie est en mode escalade. La source fait aussi état « d’un accord entre les Russes et une autre partie qui devrait être conclue dans deux semaines sur un bateau battant pavillon des Émirats arabes unis et baptisé Azzam ». Alec de Payns a pour mission de se transformer en Houdini. Monter à bord et poser des micros. Il rouspète mais son boss a une totale confiance en ces capacités de réussite. L’enjeu est d’autant plus grand que Degarde a été assassiné avec toute sa famille. Pas comme avec les bonnes vieilles méthodes du temps de la guerre froide mais un peu façon cartel du Sinaloa. Les temps changent. Une chasse aux espions en haute mer se profile. Alec voit déjà son week-end familial partir à vau-l’eau. Parce qu’il a bien une vie de famille, un femme, Romy, et des enfants à qui il passe son temps à mentir. Assurer les deux relèvent de l’équilibrisme. James Bond n’avait pas tous ses problèmes.

Une fois sur le bateau, ce qu’il arrive à accomplir bien évidemment, la scène décrite par Jack Beaumont est assez savoureuse. La crème des affreux jojos. Un marchand d’armes, un commandant militaire Wagner, un ancien du Gru (Services de renseignements militaires russes) et le neveu du général Haftar qui gère une partie de la Libye. La réunion porte sur les plans de la Russie à s’emparer de l’ouest de la Lybie afin de couper l’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe. Il comprend que les Libyens demandent des forces spéciales aux Russes. Mais faute de contingent officiel, ce sont les gars de la milice Wagner qui opèrent. De Payns a déjà du lourd mais il le sait, Briffaut, toujours insatiable, voudra plus que les ragots d’une escort girl et la description de quatre personnes d’intérêt présentes sur le yacht. Le neveu du général Haftar est aidé dans son entreprise par une milice djihadiste « Al-Kaniyat Militia ». S’il est difficile à La Boîte de prouver une connexion avec le Kremlin, il n’est pas question de laisser ces barbus se déployer en Europe.

La page 5 d’un dossier que de Payns a réussi à faire sortir sur une clé USB est cryptée. Mais les e-mails apportent quelques pistes. Comme cette volonté du Kremlin de faire éliminer le milliardaire ukrainien, Igor Kolomoïsky, acteur majeur du système énergétique de l’Europe de l’Est. Et que Poutine jusque là laissait tranquille. Mais ce dernier le considère désormais comme « un émissaire de l’agression américaine en Ukraine ». La Boîte sait parfaitement que l’Ukrainien émarge pour la CIA et qu’il a financé la campagne de Zelensky. Elle penche plutôt pour une autre explication : le projet EastMed. Fichtre, qu’est-ce que c’est que ce truc ! « Les plus grandes réserves au monde de gaz naturel économiquement viables et qui se trouvent actuellement dans les fonds marins au  large d’Israël et de l’Égypte ». Kolomoïsky serait lié à EastMed. La Boîte en est persuadée, Poutine a toujours un plan B. Qui pourrait bien être l’invasion de l’Ukraine.

Avec Jack Beaumont, on a vraiment les mains dans la tambouille de la diplomatie et de l’espionnage. Des vérités désagréables sont ainsi étalées au grand jour : « Personne ne se soucie des Ukrainiens. Les Russes et les Américains veulent simplement contrôler l’approvisionnement en gaz de l’Europe ». Et nous, pauvres citoyens lambdas, on est bien peu de choses, informés par des médias mainstream tout aussi à la peine pour y voir clair dans ce jeu de l’espionnite aussi opaque que le régime des mollahs à Téhéran. Dans l’ombre du Kremlin est un peu passé sous les radars, écrasé par la sortie d’autres-poids-lourds de ce genre thriller. C’est dommage. Avis aux amateurs.

Dans l’ombre du Kremlin de Jack Beaumont, traduit de l’anglais (Australie) par Emmanuel Chastellière, Éditions Michel Lafon, 464 pages, 21.95 euros.

 

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