« La Station » de Jakub Szamalek : huis clos intersidéral

Et dire que Thomas Pesquet a fait chavirer des millions de gens. Avec ses posts sur Instagram, la terre vue de l’espace, un rêve éveillé. À la lecture du dernier roman de Jakub Szamalek, La Station, on nagerait plutôt en plein cauchemar. Enfermés dans une capsule métallique, des astronautes américains et russes vont s’affronter comme de sempiternels ennemis à cause d’une histoire de fuite d’ammoniaque.

Décidément l’auteur polonais est un gars à suivre. Avec La Station, Jakub Szamalek nous entraîne dans un univers qu’il a l’air de maîtriser aussi bien que les lignes de codes informatiques de ses romans précédents. Mais là, il prend de la hauteur, on a l’univers à portée de main. De passage à Paris pour la promotion de son roman, l’écrivain polonais, à la chevelure portée grise et blanche portée en catogan, se plie au jeu des questions réponses avec beaucoup de patience et de sympathie. La patronne de la librairie polonaise qui fête ses cent ans d’existence sur le boulevard Saint-Germain à Paris, accueille l’auteur avec un brin de stupéfaction. « Nous n’avons jamais reçu autant de bloggeurs et d’influenceurs dans nos murs ». Quelqu’un ajoute malicieusement. « Et de journalistes »… En réalité la présence des reines et rois du clic n’est pas dénuée de sens, l’auteur étant très porté sur les nouvelles technologies et les algorithmes des géants de la tech. Intérêt qu’il a développé dans sa Trilogie du Dark Net, entamée en 2019 et terminée l’année dernière. Tous publiés chez Métailié.

La commandante Lucy Poplaski est à la tête de la mission internationale USA/Russie qui va aller faire un petit tour dans l’espace, illustrant au passage ce beau chapitre d’amitié entre les deux grandes puissances. « La Station spatiale internationale était le fruit de l’optimisme des années 90. Libérés de la logique de la guerre froide et n’ayant plus besoin de faire la course aux étoiles, Russes et Américains avaient uni leurs forces pour le bien de l’humanité…ils avaient construit un laboratoire volant autour de la Terre pour la modique somme de cent vingt milliards de dollars ». Mais c’était il y a vingt ans. Depuis, les milliardaires type Elon Musk ont pris d’assaut l’espace. Ils se paient leurs traversées spatiales. Ils n’ont pas de problème de trésorerie. Ce qui n’est plus le cas des Russes qui sont désormais largués, face à une Chine plus que émergente dans ce domaine. Retour aux mauvaises pensées.

D’autant que rien ne tourne rond dans la capsule. Une fuite d’ammoniaque a été détectée. La confiance entre les deux nations n’étant plus au beau fixe, la suspicion est stratosphérique. La faute à la Russie, forcément, se disent d’emblée les Américains. Analyse inverse de l’autre côté. Le romancier semble doué pour assimiler des notions techniques très compliquées et nous les transmettre comme si c’était une évidence. La vie à l’intérieur de cette boîte peu confortable est une longue litanie de tâches répétitives et ennuyeuses. L’emploi du temps des astronautes est établi des années à l’avance par les agences. Pas de surprise, encore moins d’initiatives personnelles. Il faut juste suivre le manuel à la lettre et cocher toutes les cases requises. L’apesanteur qui fait sourire quand on la voit à l’écran, n’a plus rien de drôle lorsqu’il s’agit de se laver (lingettes) aller aux toilettes (couches), de se défendre (aller frapper quelqu’un en apesanteur) ou de tirer sur quelqu’un (la folie absolue, la mort au bout du fusil). Le moindre grain de sable est source de danger. Pourtant, cet équilibre lunaire est en passe d’exploser.

Aux côtés de Lucy Poplaski, cette commandante de choc corsetée dans une combinaison Sokol cousue sur mesure avec des dizaines de laçages, de boutons et de loquets qui empêche tout déshabillement, un scientifique, une touriste de l’espace, et le pilote, un ancien militaire pro MAGA, comme tous le découvriront plus tard, voire trop tard. Du côté russe, ils ne sont que deux, Lev et Anton, ce dernier ayant même eu une amourette avec Lucy lors d’un autre voyage. Une performance en soi, sachant que les caméras suivent les astronautes H24 dans la station. Tandis que son mari Nate Hunt cloué au sol à garder leur fille unique, Eliza, qui s’interroge chaque jour : « Mais pourquoi maman part-elle tout là-haut ». Le romancier s’est posé la même question. « Les astronautes sont admirés, enviés et célébrés mais au fond, on se demande pourquoi on les envoie dans l’espace, à quoi servent-ils, explique-t-il, platement. On sait aujourd’hui que des robots feraient très bien le travail. Et qui paie pour ces rêves de cow-boys de l’espace ? ».

Elle aurait dû se méfier la petite Lucy, la bonne élève, la meilleure comme elle le dit elle-même. Le mari qui se sacrifie pour l’ambition acharnée de sa femme découvre que madame a réussi à batifoler avec un Russe sous les étoiles. L’auteur en profite pour montrer les difficultés particulières de la gente féminine face à cette aspiration professionnelle exacerbée, et comment l’homme qui gagne moins et garde les enfants, se débat également avec ces nouveaux codes. « La station spatiale représente le symbole idéal des rapports internationaux mais c’est aussi pour moi, le symbole de l’histoire du sexisme. Comment arrive-t-on à d’immenses avancées technologiques en étant aussi arriérés sur le plan humain et civilisationnel ? ».

Le roman tombe à point nommé. Jakub Szamalek ne se dérobe pas face à une question plus politique. Il raconte qu’il l’a commencé avant que la Russe n’envahisse le voisin ukrainien. « J’étais au milieu de mon roman lorsqu’ils ont attaqué. La station spatiale a pris un tour symbolique encore plus grand. J’ai pu utiliser cette attaque dans tous les dialogues entre Russes et Américains. Tout prenait encore plus de sens. On voit bien que ce qui compte lorsque les personnages s’affrontent, ce n’est pas tant ce qui se passe dans cette boîte métallique désagréable que les conséquences que cela peut avoir en bas, sur terre ». Ce polar très cinématographique (on pense à Sigourney Weaver dans Alien) prend alors une tournure réelle et dramatique. Fini de rigoler. Jakub Szamalek est polonais, il connaît l’ennemi : « Je suis furieux contre les Russes parce qu’ils prouvent que le progrès ne reste que technologique avec eux. Et qu’ils ne ratent pas une occasion de tirer toute la région vers le bas sur le plan civilisationnel ». La Station a été traduit en russe et Jakub Szamalek a versé tous ses droits d’auteurs à une association ukrainienne afin qu’elle achète des drones. Quand le réel l’emporte sur la fiction. Et que les écrivains ne manquent pas de courage.

La Station de Jakub Szamalek, traduit du polonais par Kamil Barbarski, Éditions Métailié Noir, 380 pages, 23 euros. 

 

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