« La Honte » de Arttu Tuominen : les silences dévastateurs

Grand écart. Après s’être attaqué au passé honteux de son pays, le phénomène du roman policier finlandais, Arttu Tuominen, reprend pied dans la réalité d’aujourd’hui. Mais pas la plus sympathique. Celle des réseaux sociaux, celle qui échappe aux parents de plus en plus inquiets et impuissants.

C’est exactement le cas de son personnage récurrent, l’inspectrice principale Linda Toivonen de la brigade criminelle de Pori, une petite station balnéaire finlandaise. Cette dernière n’est pas dans une forme olympique. Les relations avec sa fille, Linnea, 13 ans, sont exécrables. La mère se noie dans l’alcool tout en niant la réalité de la situation. Survient la disparition de Laura. Jeune fille que sa propre ado prétend ne pas connaître alors qu’elles sont dans la même école. Sur l’ordinateur de Laura, les policiers remarquent des échanges tenus avec un certain Peter Pan. Lorsque le corps de cette dernière est retrouvé, sa mort met le feu aux poudres. On a plutôt l’habitude d’enquêteurs alcooliques. Le fait que ce soit une femme n’est pas anodin et colle parfaitement au titre du roman, La Honte. L’alcoolisme féminin étant souvent vécu et perçu par les autres de façon particulièrement honteuse.

Chaque roman de la série que l’auteur désigne par Delta Noir, est abordé par l’un des membres de la brigade. Cette fois, La Honte met en scène une maman célibataire plutôt cabossée dont le drame personnel nous est dévoilé au fil des chapitres, qui mène l’intrigue. Le sort de cette ado vient percuter Linda de plein fouet et la force à remonter le film de ses souvenirs, quand elle était jeune et innocente. Quand elle avait la tête pleine de rêves, ceux de devenir mannequin et d’échapper à une mère alcoolique. On comprend mieux le mal-être qui la ronge. Les chapitres de son passage à Milan dans ce monde de prédateurs que peut être celui de la mode, sont particulièrement réussis. On pense au dossier actuel de Jeffrey Epstein livré au goutte à goutte par les autorités américaines, avec des photos d’hommes puissants sûrs, de leur position et de leur pouvoir, auprès de filles souvent très jeunes.

Bonne enquêtrice, Linda ne tarde pas à découvrir que d’autres jeunes manquent à l’appel. Un serial pédophile est à la manœuvre. Le gars est assez malin pour repérer les jeunes les plus fragiles et Internet lui offre un formidable terrain de jeu, facilement inaccessible aux parents peu dégourdis avec la souris. Surtout pour une flic débordée par ses propres démons qui ne voit rien de ce qui se joue devant elle. Victime, bourreau dans le même bateau. Mais que peut-on attendre d’une mère qui tangue depuis tant d’années.

On a toujours un peu tendance à idéaliser la Scandinavie. Heureusement, les écrivains sont là pour nous rappeler que la réalité est la même partout. La Finlande ne vient-elle pas de battre un triste record en matière de consommation de drogue. Avec l’arrivée en provenance de Suède, d’une substance aussi addictive que le fentanyl, l’Alpha-PVP qui transforme les jolies rues de la capitale Helsinki en territoire gangrené par les substances toxiques. Arttu Tuominen a choisi la pédocriminalité et la facilité avec laquelle des hommes de tous âges et de toutes classes sociales confondues, arrivent à entrer en contact avec des jeunes souvent fragilisés par une cellule familiale dysfonctionnelle. On retrouve la thématique de la honte, présente dans le roman précédent mais cette fois, elle n’est pas historique, elle porte sur les victimes, les parents aveugles et des institutions souvent dépassées. La crise entre la mère et sa fille nourrit le côté romanesque du livre. On s’identifie jusqu’à un certain point aux difficultés de cette maman avec son adolescente. Et on conclut que, décidément, l’utilisation d’Internet par les enfants, n’est pas à prendre à la légère.

La Honte de Arttu Tuominen, traduit du finnois par Claire Saint-Germain, Éditions de La Martinière, 432 pages, 22 euros.

 

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