L’autrice est ingénieure de la police scientifique. C’est à garder en mémoire à la lecture de son très joli roman. Claire Raphaël se met dans les pas de l’enquêtrice Jasmine et d’Astrid la lycéenne. Une confrontation qui ne dit pas son nom. Tantôt feutrée, tantôt plus rugueuse. Nous sommes au cœur du travail de fourmi de ces policiers anonymes qui traitent au jour le jour des situations qui n’ont aucune chance de faire la Une des médias ou d’atterrir chez les ténors du barreau. Nous sommes dans la vie de ces cités où « les violences s’invitent régulièrement et de préférence le soir après vingt-heures. »
La cité des Musiciens a été construite à l’époque où la France faisait venir chez elle des ouvriers immigrés à la pelle. Elle a suivi le chemin tragique de bien d’autres du même genre. Elle s’est repliée, recroquevillée sur elle-même, oubliée des pouvoirs publics, laissée à la dérive d’une violence en embuscade. Le feu a pris au dixième étage dans un appartement où la table ronde du salon carré donnait l’illusion d’une maison bien tenue. Il s’est concentré dans la cuisine, a consumé un placard en hauteur et partiellement attaqué un rideau. Une jeune fille s’est enfuie à l’arrivée des pompiers.
La victime, Émilie Frontenac n’a pas forcément le meilleur des CV. Mauvais état de santé, alcoolique, bourrée d’anxiolytiques, bref autant dire qu’elle a pu mettre le rif toute seule ivre morte dans sa cuisine. Mais avant de tirer la moindre conclusion, il faut impérativement mettre la main sur la seule fille qui lui reste (les autres lui ont été enlevées) Astrid, élève de terminale, filière bac pro commerce. Elle est d’emblée la victime et la suspecte. Lorsque la brigade anticriminalité lui met enfin la main dessus, le premier face à face est tendu mais surtout déroutant. Deux heures de questions méthodiques. Du travail de flic classique, application de la méthode, et une gamine qui tient le coup. Comme une grande. Good cop, bad cop. Jasmine est la gentille, Tom son chef, le méchant. Ils la placent en cellule. Histoire qu’elle réalise, peut-être même, qu’elle cède et avoue s’il s’avère que le sinistre est d’origine criminelle. Après tout, sa mère était défaillante, voire monstrueuse. Astrid ne se défile jamais mais ne dramatise pas pour autant. Sa mère, c’est sa mère, elle n’est pas comme sa génitrice. Le déterminisme social, économique et génétique, ce n’est pas pour elle. Astrid veut faire exploser les barrières, elle ne se fixe aucune limite. Elle a un copain, elle aura un boulot, une famille, elle est elle, pas l’autre.
Jasmine et Tom n’en démordent pas. Il y a un truc qui cloche. Le temps de la justice n’est pas le nôtre ni même celui des convictions des policiers qui l’appliquent. Il parasite le jugement, altère le discernement. Claire Raphaël est dans son élément, elle nous expose à la lenteur des procédures, juridiques et scientifiques. Le désir de bien faire les choses qui confine parfois au harcèlement. Comme avec cette jeune fille qui vient de perdre une mère comme personne n’en voudrait. Tom va lâcher emporté vers un autre poste, Jasmine en sera incapable. Si Astrid la touche, sa quête de la vérité et de la justice l’emporte. Jusqu’à l’obsession. Ce sont deux portraits de femmes, l’une plus jeune que l’autre, par petites touches sensibles. Deux volontés qui s’affrontent, qui s’opposent. Elles ne tirent pas dans la même direction. La vie sourit à Astrid, envers et contre tout. C’est justement ce qui inquiète Jasmine. « Je me suis demandé comment elle faisait pour vivre ainsi, pour contenir cette folie, cette folie que les humiliations avaient fait naître et qu’elle avait réussi à convertir en joie de vivre mais pour combien de temps ? » Le roman de Claire Raphaël est emprunt d’une humanité chahutée. Les uns s’en sortent, les autres tombent. Astrid n’aime pas les chutes.
« La jeune fille et le feu » par Claire Raphaël, Éditions Rouergue Noir, 240 pages, 21,50 euros.