Le matériaux le plus résistant selon François Médéline : les politiques

Plus dure sera la chute, dit-on toujours. Mais l’actualité récente nous prouve le contraire même si le chapitre de cette histoire n’est pas forcément terminé. Jérôme Cahuzac, ex-ministre du Budget condamné à quatre ans de prison pour fraude fiscale et blanchiment d’argent, a refait surface et annoncé qu’il reprenait les chemins de la vie publique. Culotté ou couillu, allez savoir. Moral certainement pas ! Mais la politique est-elle morale ? A la lecture du dernier ouvrage de François Médéline, « La Résistance des matériaux », la réponse est non. L’auteur s’inspire de la chute de l’ex-ministre sous François Hollande et de l’ascension d’une beurette brindille à la Kate Moss version orientale, qui nous en rappelle une autre : la très redoutable Rachida Dati. Tempo staccato, cinglant, mordant et palpitant. Et qui devrait en fâcher plus d’un.

L’intrigue étant connue, le romancier ouvre le bal par un personnage encore secondaire dans la tragédie à venir. Djamila Garrand-Boushaki, vice-présidente de la Région Rhône-Alpes en charge de la formation professionnelle et députée de la deuxième circonscription du Rhône. La dame est en service commandé. Elle joue les suppléantes mais pas de souci, elle sait faire. Elle s’est couverte, il fait froid dans le Rhône, à cette époque. Elle déteste l’hiver. Normalement, elle siège au Palais Bourbon, consacre ses vendredis à sa région et ses week-ends à la circonscription. Mais son emploi du temps a été bousculé. Il le sera encore davantage après la bombe lâchée par le site d’informations en ligne, Mediapart. Avec preuve à l’appui sous la forme d’une cassette. Serge Ruggieri, ministre de l’Intérieur, possèderait un compte luxembourgeois. Djamila vient des cités, elle renifle les emmerdes à des kilomètres. Mais elle sait aussi autre chose : « Les règles sont les mêmes partout : la réussite sourit spécialement aux voleurs, aux vicieux et aux fils de putes. » Elle est mariée à Jean-Michel Garrand, chef de cabinet de ce Ruggieri. Elle s’est fabriquée une façade et c’est son armure. Les gens oublient qu’elle est arabe. Pas elle, ni d’où elle vient. Et les trois voix sur cet enregistrement que tout le monde réclame, elle les reconnaît. Dans une vie antérieure, elle s’appelait Mila. On la lui fait pas.

Ce que François Médeline va nous raconter est suffisamment compliqué pour qu’il s’attarde à présenter de façon minutieuse les principaux personnages de son roman. Le commandant Alain Dubak, flic largué, en disgrâce et qui va se trouver pris dans les filets de cette histoire autant par amour que par désinvolture et vœu de rédemption. Borgne de naissance, il a une petite cinquantaine et opère à la Brigade financière. Il a une cicatrice qui part de son oreille et remonte jusqu’au front. Il va chez une psy depuis que Mamy, ex-numéro 2 a quitté ses fonctions, ne baise plus depuis 1998, persuadé que trois de ses camarades sont morts par sa faute, sa femme Alexandra l’a quitté après sa grande traversée version cocaïne full time. Il est traumatisé par une fellation à 9 ans que son pote a fait et qui est mort. Bien malgré lui, il va faire partie d’une machination qui le dépasse. Dubak est la proie parfaite pour la députée.

Le gros méchant psychopathe s’appelle Gérald Hébert. Il vit avec Delphine, a deux enfants, il aime sa famille. Lui, l’orphelin recruté par la DST à la sortie de l’établissement. Ex-fonctionnaire de la DCRI désargenté. Il porte encore des costumes de moyenne gamme mais fume des Davidoff. Aujourd’hui, il émarge pour Hugues Corvoisier, poids-lourd du BTP, notamment celle du nouveau stade de foot de l’Olympique lyonnais, et qui pèse 50 milliards et emploie plus de 200.000 salariés. Impatient, il refuse d’attendre la fin de l’enquête sur Cahuzac. Ce qu’il veut, ce sont les brouzoufs, ceux qu’il va se mettre dans la poche avec ses projets faramineux. Mais ce que demande le bonhomme n’est pas rien. Va falloir faire ce que Herbert dans son jargon désigne comme une « intrusion ». Herbert veut dépenser gros pour récolter beaucoup. Il imagine un plan de grand tordu, un scénario qui implique un bon gars fiché S. Tiens donc, du terrorisme, quelle bonne idée. Une façon de détourner l’attention au cas où Ruggieri exploserait en vol. L’auteur n’a pas son pareil pour décrire des scènes de crapuleries totales entre un homme d’affaires et son exécutant au CV aussi sordide qu’efficace.

Il existe quatre types de matériaux dans la vraie vie : les métalliques, les minéraux, les organiques et les plastiques. Le romancier français en a ajouté un : le politique. D’un genre dont le sens de la survie confine à l’admiration. Croire jusqu’au bout que l’on peut être au-dessus des lois, leur point commun à toutes et tous. Ainsi l’auteur imagine – t – il les propos de ces hommes de pouvoir sous forme de transcriptions. Celles d’écoutes orchestrées par la NSA. Le 21/12/2012, Serge Ruggieri et son chef de cabinet Jean-Michel Garrand s’entretiennent. Le premier monte dans les tours en parlant de sa femme : « Cette pute, cette pute, elle s’est fait enfiler par la moitié de Lyon. » L’épouse trompée, humiliée qui bavarde. Un grand classique. Les mauvais vaudevilles n’épargnent pas les bourgeois. Mais il y a cette transcription. Edwy Plenel, le patron de Médiapart est formel. Il a la preuve de ce qu’il avance. Garrand a fait authentifier la pièce. « C’est concluant. » Croyez-vous que cela les arrêtera ?

Djamila/Mila a aussi un cousin : Abdelkader Boushaki, flic de métier. Les deux ne s’aiment guère. Pour lui, elle a tourné le dos à la famille, elle les a reniés. Mais les liens du sang transcendent les différences. Il s’inquiète pour elle, pour le frère Nassim fiché S. Il n’a pas tort. Le barbouze Hébert est sur la brèche avec un plan dément de psychopathe pur jus. En roue libre total. Deux histoires parallèles. Celle d’une chute politique et celle d’une ascension politico-capitaliste. Le pouvoir de l’argent et celui de la politique. Miroir aux alouettes pour les uns, réalité économique pour d’autres. Une présidence Hollande crucifiée sous la plume de l’auteur. L’État exemplaire de la campagne de François Hollande, il est où ? Et que dire de Djamilla/Mila. On finit par être comme elle, double, en avançant dans le livre. Djamilla/Rachida… « La Résistance des matériaux » est le septième roman de François Médéline. La politique vue côté basse-cour, mise à nue, dépourvue de tout artifice. Non pas un combat de boxe mais une lutte à mort dans la savane où les nouveaux coups s’appellent communiqués de presse, éléments de langage. Mais l’objectif est bien la survie de l’espèce. Sous les lambris dorés de l’Assemblée où sous le soleil des grands espaces. L’auteur a souvent dit qu’il aimait les zones grises. On est servi. Chez François Médéline, il n’y a ni bon ni méchant. Tous des salauds. Que je ne déclinerai pas au féminin. Mais dans l’échelle des turpides politiques, sur une échelle de 10, ces dames frisent le sans-faute. Parce que Djamila/Mila n’a pas l’intention de tomber. Nicolas Sarkozy l’a déjà fait rêver. Elle sera son soldat.

« La Résistance des matériaux », de François Médéline, Éditions La Manufacture de Livres, 489 pages,  21.90 euros.

 

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