On sent qu’il aime son personnage, Chris Offutt. Faut reconnaître que Mick Hardin, agent spécial du CID (Division des enquêtes criminelles de l’armée) est bien sympathique. On le retrouve cette fois chez sa sœur Linda, shérif de Rocksalt, comté de Eldridge dans le Kentucky, alors qu’il se remet d’une blessure de guerre à la jambe qui lui cause pas mal de soucis. Il a aussi pour intention de réparer son mariage malgré la demande de divorce de Peggy, sa future ex-femme. Mais rien ne va se passer comme prévu dans cette contrée des Appalaches où la violence fait figure de code moral local immuable.
Tout commence par la découverte d’un cadavre. Il s’agit de Fuckin’ Barney, l’un des fils de Shifty Kissick, une veuve que Mick connaît depuis longtemps. Un petit traficoteur d’héro local et rural qui s’est pris trois balles dans le buffet, comme ça en plein centre-ville, et personne n’a rien entendu. Ce n’est pas de la compétence de sa sœur mais celle des flics municipaux. Ce qui tombe bien, la demoiselle est en pleine campagne électorale. Elle se représente au poste de shérif. La maman du dealer demande à voir Mick. Elle veut qu’il retrouve l’assassin de son fiston. Les flics ont lâché l’affaire, pour eux ce n’est qu’une histoire de deal qui a mal tourné. Madame Kissick n’y croit pas une seconde. « Non pas en ville. Il était malin. Il faisait toutes ses affaires à la campagne. » Elle insiste pour que ce soit Hardin et personne d’autre qui mette la main sur le coupable. Pourquoi moi, interroge Mick. « Parce que tu t’en fiches. » Une toute petite phrase qui colle le style de l’auteur. Un peu traînant et nasillard. Du genre, on fait les choses comme ça, un peu en s’en foutant. On ne s’implique pas trop, on ne demande pas grand-chose à la vie, on survit à la loyale. Mais c’est quoi la loyale dans cette région perdue au milieu de nulle part. C’est celle des autochtones qui ont une façon bien à eux de régler les problèmes. Un deuxième frangin de la tribu des Kissick est dégommé. Il reste le troisième qui vit en Californie et rapplique, Raymond le Marine. Mick va forcer sa nature d’homme solitaire et faire équipe avec son alter-égo militaire. Si la piste de la dope est évidente, une autre s’offre à eux, non moins dangereuse : celle des déchets toxiques.
On ne change pas une équipe qui gagne. Chris Offutt et Mick Hardin liés dans cette deuxième aventure de la trilogie. L’auteur est considéré comme culte. Gallimard l’avait publié dans les années 90. Vingt ans plus tard, en 2019, il revient avec Nuits Appalaches qui remporte le Prix Mystère de la critique 2020 et le Grand prix du roman noir étranger du Festival de Beaune. On s’est habitué à ces personnages croqués au millimètre, taiseux pour la plupart, violents et assez flexibles avec les substances toxiques. Offutt s’inscrit dans cette veine d’écrivains qui surfent sur le rural noir où les opioïdes font des ravages. C’est l’éternelle Amérique des oubliés du système, des laisser pour compte qui tentent de survivre dans un monde où le dollar est roi. Mais s’ils acceptent leur destin pipé, ils le font selon leurs propres règles et leur propre morale.
« Les Fils de Shifty » de Chris Offutt, traduit par Anatole Pons-Reumaux, Éditions Gallmeister, 288 pages, 23.50 euros.