« La Sagesse de l’Idiot » de Marto Pariente

Une ode à la différence. Marto Pariente, nouvelle voix du polar espagnol remarquée par un monstre du genre, Victor Del Arbol, a créé un personnage singulier que d’autres désigneraient comme le simplet du village mais qui pourtant est aussi policier municipal. Le texte est aussi brutal que tendre. L’écrivain aime les gens pas comme tout le monde. Il a donné vie à Toni Trinidad. Un sage atypique dans un monde de brutes.

Le gars est vraiment pas banal. Pour un dingue, on notera qu’il consulte un psy. Il n’y va pas pour sa pseudo-folie mais parce qu’il s’évanouit à la moindre goutte de sang. Il souffre d’hémophobie. Fâcheux lorsqu’on est un représentant des forces de l’ordre. Même dans le village d’Ascuas, décrit par l’auteur, non sans humour, et de cette façon : « Ascuas, donc, « Une entaille, rien de plus. A peine une douzaine de rues tordues qui partaient de la place du village comme les petites veines éclatées sur le visage des alcooliques. La plaie, l’hémorragie, était circoncise par une poignée de routes secondaires qui la comprimaient comme des varices sur la jambe d’une vieille. » Il se trouve que Toni a une sœur, Vega, qu’il adore mais qui a le chic pour s’attirer des ennuis. Comme un mari violent qui la pousse à oublier ses soucis et les coups au fond d’une bouteille. Un jour, elle appelle le frangin et lui annonce que Triste, le fou officiel du village, Tony se demande à quel degré d’ébriété Vega carbure. Triste se serait pendu à une branche. Impossible pense Tony, « J’ai bu un café avec lui le matin même. »

Toni monte dans sa voiture, prend une ruelle parallèle à l’avenue Castellana, évite le tunnel Maria de Molina puis quitte l’avenue America. On sent qu’il conduit comme son esprit fonctionne : avec lenteur et précision. Ce qui ne veut pas dire avec bêtise, là, vous n’y êtes pas du tout. Toni prend son temps, ce n’est pas pareil. Il a décidé d’aller voir sur place puisque sa sœur lui a assuré qu’il n’y avait pas de sang. Au même moment, Rocha, inspecteur à l’unité antidrogue et crime organisé et la Mouette, son indic, se sont donnés rendez-vous. Cela fait un an que le flic bosse sur l’opération Abeille, « un nom pas très original au demeurant puisque l’objectif n’est autre que cet Apiculteur, un mafieux qui détient une vingtaine de casses et de déchèteries dans les deux provinces de Castille. » L’indic a des trucs à lui révéler.

Et c’est là où tous vont se croiser. Vega qui, depuis que son mari s’est fait la malle, a récupéré le business de la casse, serait tout sauf une oie blanche. Selon La Mouette, elle donnerait dans le blanchiment d’argent sale. Mais pas que. Elle ne serait pas opposée à transporter quelques quantités de drogue. Le flic, l’indic, tout le monde est dans les starting-blocks. Vega aussi veut frapper un grand coup. « Je suis une guerrière, et j’avais fait ce que j’ai à faire, je vais piquer le fric de cette couille molle d’Apiculteur et je vais mettre les voiles. » Pas une bonne idée, bien évidemment. Même son frère un peu lent lui aurait dit. Mais les liens de la famille, c’est sacré. Alors quand les frères bûcherons, surnommés les McEnroe « rapport au fait qu’ils aimaient bien jouer au tennis avec des types à la place des balles ; et des battes de base-ball à la place des raquettes » des petits sicarios locaux petzouilles brutaux et sans état-d ’âmes, ont pour mission de retrouver Vega, tout part en vrille. Parce qu’on n’arnaque pas l’Apiculteur. Faut le savoir. Vega a merdé et dans les grandes largeurs. Toni Trinidad, le rescapé de la Maison jaune, l’orphelinat où il a grandi en souffrant, va voler au-secours de la frangine. Avec bien plus de sagacité et de clairvoyance que les esprits sectaires et obtus auraient pu l’imaginer. La Sagesse de l’Idiot fait péter les préjugés et donne vie à une galerie de personnages bêtes et méchants mais dominée par une âme pure : celle de Toni Trinidad. Victor Del Arbol ne s’est pas loupé, Marto Pariente vaut le détour. Carrément.

« La Sagesse de l’Idiot » de Marto Pariente, traduit par Sébastien Rutés, Éditions Gallimard/Série Noire, 336 pages, 14,99 euros.

 

 

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