Cinq décès suspects. Deux Sénégalaise, une Tunisienne, un Malien et un Français. Ils ne se connaissaient pas mais la cause de leur mort est identique : absorption d’une dose anormale de vitamine D, de lithium et de potassium. Deux autres similitudes troublantes : ces personnes souffraient d’un cancer et elles avaient toutes consulté Moussa Sylla, un retraité sénégalais, un marabout. L’intrigue est rapidement campée et la romancière, Solange Siyandje nous embarque dans une aventure où les requins de l’industrie pharmaceutique entendent bien gagner des millions avec des recettes ancestrales, bien loin des travaux effectués dans les labos de Big Pharma.
Au cœur de ce casse-tête à venir pour les policiers français, une compagnie américaine, les laboratoires Merculix. Ils sont dans le viseur de la redoutable FDA, l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux, qui les accuse d’avoir été pleinement informés des effets indésirables de leur médicament phare, le Vacanix. Causant ainsi des milliers de morts par accident cérébral vasculaire. La filiale française est dirigée par Patrick Cooper qui est marié à Béatrice Fosso-Cooper, une pénaliste qui « aimait gagner et n’hésitait jamais à aller chercher ses victoires aux forceps. » Quelle chance sur un million que son épouse hérite de ce dossier du marabout ?
Une grosse chance. Puisque c’est exactement ce qui se passe. L’avocate, ignorant encore à ce stade l’implication de son mari, accepte de défendre le vieil homme. Sa mère le lui a demandé et on ne désobéit pas à sa maman. On commence à comprendre ce que la romancière a en tête. Une sorte de vaudeville à la sauce polar où les femmes vont occuper une place majeure. Tantôt maîtresse de leur destin ou au contraire victime impuissante face à un pouvoir masculin démesuré. Nathalie Gérard, chercheuse et autrice du best-seller Votre santé vaut des diamants sera les deux. Et c’est au nom de l’amour qu’elle va sombrer, s’oublier et accorder à Patrick tout ce qu’il lui demande. Au point d’atterrir en prison pour un homme qui, dans le fond, se fiche complètement d’elle.
L’avocate Béatrice n’est pas épargnée. Pas facile d’apprendre qu’elle a été trompée et que son époux est peut-être complice d’une vaste escroquerie létale. Au nom d’un soi-disant progrès. En réalité, tout n’est qu’une question de chiffres et de profits colossaux. Certes, le Vacanix a coûté de l’argent à la maison mère américaine. D’ailleurs Patrick s’en explique : « Nous avons une enveloppe comprise entre 2 et 4 milliards de dollars et environ 300 millions avec la FDA. Mais les gains réalisés avec ce médicament s’élèvent à 40 milliards. » Même le plus nul en mathématiques sait très bien compter, lorsqu’il s’agit de se remplir les poches. Les actionnaires frémissent de plaisir. D’autant que le géant pharmaceutique ne compte pas s’arrêter là. « Le cancer est la première cause de mortalité dans les pays riches, poursuit Patrick. Le coût prévisionnel tournerait autour de 1,6 milliard de dollars mais le chiffre d’affaires devrait se situer autour des 20 milliards. » De quoi enterrer encore plus profond d’éventuels scrupules. L’histoire est loin d’être farfelue. La richissime famille Sackler de Boston sur la Côte-est américaine est à l’origine de la pire crise sanitaire outre-Atlantique, avec sa production d’opioïdes, ces fameux anti-douleurs qui ont rendu accroc des millions d’Américains. Fermer les yeux, payer pour dédommager, tout est bon pour continuer à engranger les profits. La romancière Solange Siyandje est avocate au barreau de Paris. Dans ce premier roman, elle a su tirer parti de sa propre expérience, de sa connaissance des rouages de la justice, d’une très bonne lecture des nouvelles dans le monde. Et surtout d’une double culture qui lui a permis de bâtir une histoire à plusieurs tiroirs où l’être humain se révèle monochrome dès qu’il s’agit d’argent.
« L’Affaire Sylla » de Solange Siyandje, Éditions Gallimard/Série Noire, 256 pages, 19 euros.