« Au commencement » : l’ennemi intérieur de Ivan Zinberg

Quatre morts. Un dealer, un gitan une prostituée et un chômeur. Tous tués à bout portant. Aucun rapport entre eux. Si ce n’est des vies de losers un peu passe-murailles dans l’univers de cette criminalité de basse intensité. Pas de quoi fouetter un chat ou lever un cil. D’ailleurs, le « groupe Delmas » y va mollo, patine un poil. Il est sous le commandement du commissaire Julien Martial, chef de section qui a posé ses valises dans les nouveaux locaux de la Crim, au 36 rue du Bastion dans le 17ème. Il interroge le commandant Luc Delmas sur ses effectifs. Le patron semble inquiet. Trop d’absents, trop de situations personnelles à traitement d’exception. Il n’aime pas les écarts de comportements et dans ce groupe, il y en a trop. Il a été échaudé. Un ripou passé sous le radar aux Stups lui a valu un placard et une renaissance inespérée en PJ. Il n’a clairement pas envie de mourir une deuxième fois. « Message passé », lui affirme Delmas. S’il savait.

Il faut dire qu’il est un peu foutraque le commandant Delmas. Il a la réputation, à juste titre, d’être trop laxiste avec ses subordonnés. Mais qui est-il pour faire des remontrances, lui qui donne à peine l’exemple avec ses manies et sa vie monacale. Le décor est rapidement planté par l’auteur qui présente les personnages un à un.  Il y a son numéro 2, le capitaine Nicolas Pradier, le numéro 3, Guilaine Monteil la procédurière surnommée « Guigui » et 20 ans au compteur à la PJ. Elle est à un an de la retraite. Les petits derniers, les brigadiers Stéphane Lain et Sarah Barnowski. En couple depuis un an. Enfin, le fameux « voyageur », le brigadier Mario Giordano, « FOTO », que Delmas envisage en remplacement quand « Guigui » quittera la maison. Celui-là préoccupe tout particulièrement Martial. Deux disponibilités en moins de dix ans, il n’apprécie pas. Mais Delmas y tient, il a peu de goût pour le turn-over. Et puis, c’est une équipe soudée avec des différences qui les complètent. Delmas laisse filer, ce qui lui importe, ce sont les heures supplémentaires et un bon flair de flic, le reste il s’en moque. Même FOTO et ses congés sans soldes pour parcourir le monde et faire de la photo, il s’en accommode. Il n’est pas un fonctionnaire lambda. La paperasse, très peu pour lui. Les vacances, les absences, pas de quoi s’alarmer. Il gère. Croit-il. Le personnage de Luc Delmas est une surprise avec un profil un brin rafraîchissant dans la galaxie du polar. Pas de défonce, pas d’alcool, le gars a les idées claires la moitié du temps. Seul bémol qui le tracasse un peu, cela fait quinze ans qu’il n’a pas touché une dame ou un monsieur. « Asexuel et aromantique, lui dit son psy. Pas de quoi s’inquiéter, juste une personnalité comme ça. »

En attendant, dans les hautes sphères, personne n’aime que le 93 bouge d’une oreille. Surtout lorsque les deux cadavres représentent chacun une minorité : une travailleuse du sexe et un homosexuel. Et surtout, lorsque l’on se trouve entre les deux tours d‘une élection présidentielle. La piste terroriste n’est déjà plus du fantasme. Et pour cause. « Des meurtres par balles d’une extrême brutalité, resserrés dans le temps, sans mobile apparent, commis par un homme pilotant un scooter. Ça ne vous rappelle rien ? » Mohammed Mera, bien évidemment. Delmas sait très bien que l’hypothèse de l’islamisme radicale aussi charmeuse qu’un serpent à sonnettes, les huiles adorent. Lui, les raccourcis, il s’en méfie. Toutes les options sont encore sur la table : tueur en série, guerre des gangs, trafic de drogue ou encore l’extrême-droite. Delmas et son équipe avancent prudemment.

Un suspect sort du lot. Un gardien d’immeuble, Luis Gimenez. Un loup solitaire. Même pas fiché S. « Une ombre. Un courant d’air. » Mais un copycat, pourquoi pas. Emmanuel Macron échappe à un attentat à Figeac, le jour de sa réélection. Le visage de Gimenez est capturé par les vidéos de surveillance. Il meurt en se faisant exploser. Fin de l’histoire ? Le groupe Delmas adhère, sable le champagne. Un homme manque à l’appel. Mais Delmas a toujours été laxiste. L’auteur, nous a gentiment baladés sur près de 300 pages. Et on a adoré. Des chapitres courts en enfilade. Ivan Zinberg, capitaine de police dans la vraie vie, découpe son polar comme son existence, on l’imagine en tout cas, en séquences nerveuses, efficaces et vrillées. Du beau matériel de polar que l’auteur a situé dans Paris et sa région. Ivan Zinberg dépend d’un service des mouvances radicales et des violences urbaines. Il s’est inspiré d’une histoire vraie. Le 3 octobre 2019, Damien Ernest, Anthony Lancelot, Brice Le Mescam et Aurélia Trifiro sont assassinés par un agent radicalisé de la préfecture de police de Paris. Ce livre est un hommage à ses collègues et toutes les victimes du terrorisme. L’auteur vient encore de se faire rattraper par la réalité.

« Au commencement » par Ivan Zinberg, Éditions Harper Collins/Noir, 312 pages, 20,50 euros.

 

 

 

 

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