« L’Été d’avant » de Lisa Gardner : à la recherche des disparus de l’Amérique

Lorsque le Washington Post se fend d’une critique en 2021, la précision est de taille : « Lecture à consommer sans culpabilité. » Lisa Gardner, championne poids-lourd des blockbusters dans la catégorie romans policiers diaboliquement efficaces, figure régulièrement dans la liste des préférences de lecture du vénérable journal de la Côte-est américaine. Ce n’est pas donné à tout le monde de livrer un page-turner addictif et de qualité. La dame aux 25 millions de livres vendus dans le monde vient pourtant de récidiver avec « L’Été d’avant ».

Tout tourne autour de son personnage principal : Frankie Elkin, la quarantaine, ancienne alcoolique qui lutte encore pas mal contre ses démons. Frankie s’est découvert une autre addiction : retrouver des personnes disparues. « Quand la police a baissé les bras, que les médias ne s’y sont jamais intéressés, que tout le monde a oublié, c’est là que j’interviens. » Invraisemblable le pitch ? Pas du tout. Il existe réellement aux Etats-Unis des apprentis enquêteurs qui se sont donnés comme mission de se substituer à une police débordée ou négligente. Et parfois avec succès. Comme Jody Ewing, en Iowa, rencontrée en 2015 et qui de sa propre initiative avait monté un site Internet consacré aux crimes non résolus. Ni policier, ni détective privée, ni rien, Jody Ewing a contribué à résoudre des mystères délaissés par des autorités surchargées. Comme Frankie, elle a laissé parler les disparus.

Mattapan, quartier chaud de Boston. C’est là que vit la communauté haïtienne. C’est là que Frankie pose ses valises. Avec comme toujours, presque rien dedans. Sa vie est d’aller de ville en ville, pas besoin de s’encombrer. Lorsqu’elle pénètre le Stoney’s, elle comprend tout de suite que pour une fois, c’est elle, la minorité. Va falloir la jouer fine mais les défis, Frankie, elle adore. A croire qu’elle les recherche. Elle postule comme barmaid. Gonflé pour une régulière des AA. Le patron l’avertit : « Les clients ne vous aimeront pas. » Elle s’en moque, elle est là pour retrouver Angelique Violette.

Frankie commence par se rendre au domicile de la jeune fille qu’elle trouve facilement sur Google Earth. Elle ne se fait aucune illusion, elle sait qu’elle sera mal accueillie. Dans un premier temps. Et puis l’espoir qui ne quitte jamais ceux qui restent, ceux qui sont délaissés par les autorités, ceux-là, il arrive toujours un moment où ils finissent par s’accrocher. Et elle est là pour les aider. Alors qu’elle n’est « ni détective, ni journaliste, ni rien. » Elle est juste une femme qui retrouve des gens, de préférence issus des minorités. Le scénario se déroule comme prévu. Guerline Violette, la tante d’Angélique se méfie, son neveu Emmanuel encore plus, mais le duo finit par céder. Obtenir l’autorisation des proches, vital pour la suite. « Il est arrivé qu’on me jette dehors. Qu’on me lance des bouteilles de bière à la tête, qu’on me crache des menaces haineuses à la figure. » Mais cette fois, « la bulle d’un espoir fou et de confiance timidement accordée » a encore fonctionner. Frankie s’engage.

Sur sa route, elle croise l’agent Lotham O’Shaughnessy qui n’est pas du tout ravi d’avoir cette femme sur le dos. les vrais policiers détestent ces amateurs de polars hystériques. Mais la mayonnaise va prendre. Tout doucement. Le tandem de l’emmerdeuse et du flic bourru mais droit dans ses bottes fonctionne parfaitement. Lisa Gardner sait très bien où elle nous emmène. Construit à la première personne, le roman est entièrement vu par le prisme d’une femme qui rentre dans peu de cases, hormis peut-être celles des marginaux, des poils à gratter et des empêcheurs de tourner en rond. Frankie a une autre vision du monde qui l’entoure, elle capte parfaitement que cette adolescente si studieuse cache autre chose. Au fil de découvertes de plus en plus dérangeantes, Frankie se demande si Angelique est bien la victime. Lisa Gardner a créé un beau personnage de nana entêtée qui sent la série.

« L’Été d’avant » de Lisa Gardner, traduit par Cécile Déniard, Éditions Albin Michel, 444 pages, 22,90 euros.

 

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