Il faut parfois revenir aux classiques. Rodney Morales se l’est sûrement dit le jour où il a décidé d’écrire Honolulu noir. Un pur polar dans la tradition d’un Raymond Chandler and Co. Rien de révolutionnaire mais sacrément bien fichu. On est sous les tropiques de Hawai’i et David Kawika Apana, journaliste d’investigation, reconverti en détective privé, spécialisé en disparitions, débute sa première enquête. Minerva Alter qui trouble énormément notre novice d’enquêteur, lui demande de retrouver sa fille disparue. Et c’est parti sur plus de 400 pages d’un classicisme, au fond, parfaitement rafraîchissant.
D’emblée, on apprend que la dame, blonde à tomber par terre, fut marié à Lino Johnson, abattu à bout portant en plein Chinatown une vingtaine d’années auparavant. Gloups. Caroline Ku’uleilani Johnson, donc, 20 ans, gentille fille qui appelle toujours régulièrement sa maman, même quand elles se fâchent parfois toutes les deux, n’a plus donné signe de vie depuis 15 jours. Du jamais vu selon sa génitrice. David Apana n’est pas vraiment en mesure de faire la fine bouche. Sans un rond, il a joué au poker et gagné un bateau où il habite désormais sans rien connaître à la navigation. Ni aux blondes d’ailleurs mais il accepte la mission. Le suivre dans ses pérégrinations et tâtonnements, c’est découvrir Hawai’i, version natif de l’archipel. Un vrai régal. Il commence par Lanika sur Mokula Drive, située à deux pas de la plage. Une enclave de riches où la mixité ethnique se résume à « une poignée de maisons décrépites appartenant à des familles hawaiiennes qui doivent payer des impôts locaux toujours plus élevés pour s’accrocher à un kuleana, un lopin de terre hérité de leurs nobles ancêtres ». C’est le point de départ de cette affaire qui va le conduire dans des endroits moins glamours. De temps en temps, il s’arrête, se saisit de sa planche. Il a grandi au North shore, sur la côte nord de O’ahu, là où les gamins vivent pratiquement sur la plage le jour avant de laisser la place aux dealers, aux désespérés et amants naïfs à la nuit tombée. Kailua Beach, burger, café et planche de surf. Il contemple les îles jumelles de Mokumanu et Mokulua. Les maisons sont dissimulées par les lianes, les frangipaniers ou les hibiscus. On passe par Chinatown, on boit dans les bars de Waikiki et on regarde les bateaux amarrés dans le port de Ala Wai Boat Harbor. Apana, un brin cynique, est bien le gardien du temple. Il y a Hawi’i et il y a son Hawai’i.
Tout s’imbrique d’une manière bizarre, se dit le privé. Cette maison couleur corail aux 39 marches d’un producteur de cinéma, gardée par cette Mia qui s’entraîne comme une bête au triathlon, que dissimule – t – elle ? Elle-même est l’amie de Kay, alias Caroline. Le premier fil d’une pelote emmêlée et tordue parce qu’avec Kay existe aussi Matthew, le secouriste et petit copain. Vingt-deux jours d’enquête, au cours de laquelle le privé se heurte à la pègre locale, aux flic ripoux, se fait démonter la tête comme il se doit. Apana va de surprise en surprise, la vérité, bien sûr, n’a rien à voir avec les hypothèses de départ. Rodney Morales qui a enseigné longtemps à l’université de Hawai’i, imprègne le livre d’une nostalgie que l’on devine réelle. Les prédateurs ne rôdent même plus, ils se sont emparés des lieux pour leurs magouilles politico-mafioso-policières. Sans oublier le FBI et la DEA (Drug Enforment Agency). Son héros, David Kawika Apana, oscille entre présent et passé et tente de comprendre comment un meurtre vieux de vingt ans peut être lié à la disparition d’une jeune femme, à fortiori sa fille. Honolulu Noir se dévore et l’on se demande comment Philip Marlowe s’y serait pris.
« Honolulu noir » par Rodney Morales, traduction de Mireille Vignol, Éditions Au Vent Des Îles, 435 pages, 23 euros.