« La Cité sous les cendres », l’ultime roman de Don Winslow

Ce livre est un testament. Il est rare qu’un écrivain encore en activité, annonce qu’il arrêtera. C’est pourtant ce que le romancier américain Don Winslow a tweeté le 22 avril 2022. « La Cité sous les Cendres », est le troisième opus de son ultime trilogie, avec comme personnage principal Danny Ryan. Inspiré de l’Illiade et l’Énéide, version américaine, le roman nous conte la chute. Celle de Danny Ryan. Sous la plume de celui qui pourrait bien être le Scorsese du roman noir, l’histoire qui nous est contée résonne de façon particulière. Don Winslow a été le virtuose des dialogues entre mafieux. Du grand art romanesque. La lecture de ce livre ne peut donc être anodine. Sortez vos mouchoirs.

Nous sommes en 1997, à Las Vegas, la ville des mafieux par excellence dans l’inconscient collectif américain. Le Strip sera toujours le Strip, même si Sinatra et le Rat Pack ne s’y produisent plus depuis longtemps. Même si les gangsters ont été mis derrière les barreaux. Danny Ryan, lui-même, s’est racheté une conduite, a mis beaucoup de distance avec ses anciens camarades de Far-West. Sa vie de gangster est derrière lui. Il l’a laissée là-bas, sur la côte-Est. Sa jeunesse et ses illusions. Sa femme Terri qui est morte d’un cancer. La pègre irlandaise dynamitée. Il vit désormais sous le soleil tueur du Nevada et sous les néons non moins meurtriers de Sin City. Il est devenu un homme riche et puissant. Officiellement, légalement. Il s’apprête à célébrer l’anniversaire de son fils Ian.

Bizarrement, avant, il se contentait de peu. Aujourd’hui, il a faim. Il en veut toujours plus. Il ne se satisfait pas d’avoir rafler et remis sur pied le Sheherazade rebaptisé le Casablanca et bénéficiaire en moins de deux ans. En raison de son passé, la commission des jeux du Nevada lui a interdit de posséder des casinos. Alors, il y travaille. Son titre officiel : directeur des opérations de l’hôtel. Et il fait du bon boulot. Il en vient à posséder un royaume, mais il veut un empire. Sa mère Madeleine qu’il a retrouvée sur la tard, le reconnaît à peine. Danny est un stratège. Il a déboursé pas mal d’argent pour avoir le Starlight à l’emplacement déterminant pour sa future expansion. La construction du Shores, un casino-hôtel en plein désert lui a coûté la bagatelle de cinq cents millions de dollars. Qu’il a réussit et contre toute attente, à lever. Il a eu raison. La première année, le complexe rapporte deux cents millions avec un taux d’occupation de 98%. Désormais, il lui faut le Lavinia, le dernier hôtel qui se dresse encore, entre toutes ses propriétés et le Casablanca. Sans cet hôtel, impossible de se développer vers le nord du Strip. Problème. Vern Winegard qui veut devenir le boss de Vegas, lorgne le même bâtiment. Et Georges Stavros, un homme de parole, a promis qu’il allait lui céder. Danny Ryan n’aime pas les méthodes de mafieux mais parfois « You do what you’ve got do ». Danny appelle Pasco Ferri qui lui raconte une vieille histoire de mafioso. Georges Stavros est aussi grec que l’huile d’olive. Stavros ne tergiverse pas. Il vend à Danny Ryan et lui ouvre ainsi les portes de l’enfer.

Le passé est comme de la mauvaise glue. Il colle plus ou moins bien mais ne disparaît jamais complètement. Regina Montera, sous-directrice nationale de la lutte contre le crime organisé, atterrit à Las Vegas. Elle n’a qu’un objectif en tête : faire plonger Danny Ryan qu’elle accuse d’avoir tuer l’agent du FBI, Phillip Jardine. Elle n’a pas tort. Elle oublie juste que Ryan était en opération clandestine et commandée par ce même FBI et que Jardine était un ripou. D’ailleurs, l’Agence ne pleure pas sa disparition, et a honoré son contrat avec Danny. Elle en a fait un homme libre et non plus un fugitif obligé de se planquer avec son fils. Regina en n’a rien à foutre, Jardine était son amant, elle réclame justice, elle fera ce qu’il faut. Même si  la voix officielle ne marche pas. Et c’est exactement ce qui se passe.

Danny Ryan replonge. À croire que les anciens démons ne dorment jamais. Et comme tout le monde a toujours un cadavre dans ses placards, la combinaison des deux précipite la chute du désormais respectable Danny Ryan. Prenez ce deal de gentlemen entre Stavros et Winegard qui aurait dû se conclure autour d’une salade de poulpe marinée dans l’huile d’olive, et qui s’achève dans un bain de sang parce qu’i n’existe aucune ardoise clean dans le monde des Affranchis. La vengeance est dans leur ADN. La question qui suit est juste : jusqu’où aller et surtout jusqu’où celui d’en face va se permettre d’aller. Très loin, évidemment. Danny Ryan n’échappe pas à son destin.

Il y a d’abord eu « La Cité en flammes », puis « La Cité des rêves » et enfin « La Cité sous les cendres ». Don Winslow nous a ouvert les portes de la pègre des Irlandais et des Italiens qui se passent le pouvoir de génération en génération, avec tous les attributs qui vont avec. La perte de mémoire n’existe pas chez ces hommes-là, les souvenirs se décolorent avec le temps mais ne s’effacent jamais. Les derniers chapitres du roman sont menés caméra à l’épaule. On a tous en tête les exécutions orchestrées par la mafia dans Les Affranchis de Scorsese. Winslow s’en est clairement inspiré. Il est temps de faire le ménage, le bordel a assez duré, les grandes familles de la Côte-Est ont tranché. Chapitre court où la parole est donnée aux flingues. Et un à un, ceux qui doivent mourir rendent leur âme de pêcheur. Danny Ryan a du sang sur les mains, il est le héros, anti-héros. Il veut infliger le moins de mal possible mais n’échappe pourtant jamais aux règles immuables du crime. Livre testamentaire, Winslow, anti-Trump revendiqué, s’est tourné vers l’activisme politique, « La Cité sous les cendres » pourrait être la métaphore d’une Amérique consumée par ses élites et l’argent. Don Winslow, créateur du génialissime « Griffe des chiens », va bien nous manquer.

« La Cité sous les cendres », de Don Winslow, traduction de l’Anglais ( États-Unis) par Jean Esch, Éditions HarperCollins Noir, 380 pages, 22.90 Euros.

 

 

 

 

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