Le prêt – à – saigner de Joseph Bialot

Premier roman d’un auteur plus très jeune, Joseph Bialot a 55 ans, à l’époque. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour commencer ce que l’on a envie. Les éditions Gallimard ont décidé de rééditer quelques grands classiques du roman noir comme l’incontournable Raymond Chandler avec une nouvelle traduction et… celui du Français Joseph Bialot, avec une préface inédite du romancier Tonino Benacquista.

Une sorte d’hommage posthume largement mérité pour un homme qui sortit du camp d’Auschwitz en 1945 et mis des années avant de prendre la plume. Son livre s’inscrit dans les années 70-80. On retrouve en filigrane les grandes figurent de ce moment très parisien. Même si lui a choisi de situer son action dans un quartier très populaire et d’un commerce particulier : nous sommes au cœur du Sentier, haut lieu des grossistes d’une mode en gros et de qualité moyenne. Si le lundi est férié dans toutes les boutiques de l’hexagone, là c’est tout l’inverse. À croire que toute la France vient renouveler ses stocks. Mais pas seulement. Quelques familles, et davantage de célibataires, attirés par les demoiselles qui tapinent au grand jour, rue Saint-Denis, ne se gênent pas pour flâner et mater les décolletés profonds de ses travailleuses du sexe au rabais. Trois grandes journées modulent l’activité du Sentier : le Grand Pardon et les deux salons du prêt-à-porter. Mais cette joyeuse cohabitation est perturbée par la découverte d’un cadavre rue Saint-Spire. Une jeune femme belle et morte. Le trait rouge de sa gorge tranchée brillant dans la lueur des torches électriques. Le deuxième macchabée est retrouvé à 200 mètres de là, rue du Caire. Cette fois, c’est un homme. La gorge tout aussi tranchée.

L’enquête est confiée au commissaire Faidherbe et à l’officier de police, Chaligny. Pas des tendres les poulets. Et sûrement pas politically-correct. Les références savoureuses sont d’époque. Ainsi, Faidherbe affiche -t -il une dégaine à la Claire Bretécher, célèbre dessinatrice du Nouvel Observateur. Les flics sont largués. Le profil du tueur est moderne. Le gars aime les femmes, Marcel Duchamp, le Mouton-Rotschild, les Davidoff et il est licencié en lettres modernes. Il s’appelle Josip Vissarianovitch, il est Serbe. C’est la filière yougoslave d’immigration. Une autre, plus rustique, a aussi pris ses marques dans le domaine du chiffon, c’est elle des Turcs. Elle est incarnée par un vieillard pas glamour pour un rond. Mustafa Demirel règne comme un seigneur sur ses cerfs qui accessoirement sont ses fils et ses filles. Ces dernières n’ayant par ailleurs aucune existence à ses yeux. La petite Yamina en sait quelque chose. Le duel va être sanglant. D’autant que Mustafa est un gars à l’ancienne, il règle ses comptes lui-même, pas de flics dans l’équation, ceux-là, moins il les voit et mieux il se porte. L’auteur qui est un rescapé de la Shoah ne se fait pas prier pour décrire un grand malade qui tue comme il respire. La course contre la montre est enclenchée. D’autant que les cadavres s’amoncellent. Ironique de bout en bout, « Le Salon du Prêt-À-Saigner » nous transporte dans un Paris qui a disparu, remplacé par les cafés branchés et bourrés de hipsters. Il s’est aseptisé. Le monde d’avant.

Joseph Bialot le dit lui-même : « Il m’a fallu plus de vingt-cinq ans et une psychanalyse pour arriver à sortir du camp. » Il le fait de façon littéraire en 2002 lorsqu’il témoigne de sa déportation dans un livre intitulé, « C’est en hiver que les jours rallongent. » Les éditions La manufacture de livres a aussi eu l’idée de rééditer le témoignage. L’écrivain sur le tard est mort à 89 ans et laisse derrière lui une bonne trentaine de livres.

« Le salon du Prêt-À-Saigner » de Joseph Bialot, Éditions Gallimard Série Noire, 242 pages, 12 euros.

« C’est en hiver que les jours rallongent », Éditions la Manufacture de livres, 349 pages, 18.90 euros.

 

 

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