« Malheur aux vaincus » de Gwenaël Bulteau : enquête en Algérie française

L’Algérie. Années 1900. La France est une nation occupante. La France s’en sert de dépotoir. Elle y envoie croupir sous un soleil de feu tous ceux qu’elle considère comme tarés et susceptibles de saper le moral de la nation. L’Algérie de cette époque, c’est la Coloniale et des chefs militaires comme Faidherbe, Borgnis-Desbordes ou Gallieni. Ce sont des grands soldats au service d’une France conquérante. Et un homme en particulier sort du lot : le capitaine Paul Voulet parti à la conquête de l’Afrique.

Sur les hauteurs d’Alger. Une magnifique villa et six cadavres. Arthur Wandell et son épouse, deux colons richissimes. Trois tirailleurs africains et une domestique au teint clair, la gorge et la poitrine lardées de coups de couteau. Qui s’appelait Jacqueline. Deux hommes ont été vus s’enfuyant. L’enquête est aux mains du commissaire Gloaguen et du lieutenant Julien Koestler. Sale histoire dans un contexte politique explosif.

Gwenaël Bulteau met en place un second récit. Cette fois, nous sommes au milieu de nulle part et la nuit est glaciale. Le capitaine Paul Voulet a pour objectif de conquérir le Tchad. Son armée ? Des Soudanais formés en huit semaines. Résultat : « Il n’existait pas de soldats plus heureux d’appartenir à l’armée française. » Son périple marque le début d’un long jeu de massacres. Voulet applique le principe de la responsabilité collective. La moindre rébellion de la part de la population locale est suivie d’un châtiment à l’échelle du village. Et c’est open bar. Les soldats coupent les têtes sur les billots et enlèvent les femmes. Tuent les enfants s’il le faut. Tout ça, au nom d’une conquérante et légitime civilisation.

Retour à Alger. Rue de Chartres où les Français préfèrent faire leurs emplettes. Les Arabes, eux, vont dans le nord de la ville. Chez les Français, on n’aime pas davantage les juifs. Et on le fait savoir, en affichant un signe de reconnaissance antisémite. Un bleuet. Catherine s’appelle Hoffmann. Elle n’est pas juive mais son patronyme à consonance étrangère sème le doute. Elle tient une boutique, La Maison alsacienne, qui vend des produits de la région de ses parents, des réfugiés de la guerre de 1870, et à qui les politiciens avaient promis l’eldorado en Algérie. Elle veille aussi sur un groupe d’orphelins. Un garçon, Nourredine, se dégage du groupe. Le cireur de chaussures. La chasse à l’homme a commencé. Dans un pays occupé, on ne rigole pas avec les meurtres de colons. Un des deux fuyards est rapidement retrouvé. Et zigouillé. L’autre reste en cavale.

Du côté de chez Voulet, un autre drame se joue. Il y a un sous-officier, un sergent. À ce stade du roman, il n’est désigné que par son grade. Plus tard, il aura un nom. L’homme est rigide, soucieux d’obéir aux ordres. Il détonne parmi ses camarades de régiment, il vient du peuple. « Il se sentait mieux parmi les nègres. » En réalité, il va plus loin. « Il partage l’autruche avec les nègres. Du jus sanglant coule sur le menton des convives » Il sait que la période de l’enseignement militaire a été la meilleure. Il éprouve de la fierté à l’idée de ce qu’ils sont devenus parce que selon lui, il n’y a que l’accomplissement en ligne de mire. « Nègres ou Blancs, tous issus de la même glaise, bâtis de rêve, de gloire, acides, souffrant d’une soif intarissable ». Le sous-officier croise le regard de la princesse de Matankari. Le soir même, elle est dans sa tente. Les Blancs aiment copuler avec les Noires. Elles seraient bestiales à souhait. Les maîtresses des Blancs bénéficient aussi d’un traitement de faveur. Un certain lieutenant Wandell figure dans le paysage.

À Alger, on a déjà tué un des deux fuyards. Ils faisaient partie de ces disciplinaires qui, en accord avec les autorités militaires, étaient autorisés à sortir du pénitencier militaire pour venir travailler chez les colons. Une main-d’œuvre à bas prix. Les petits arrangements de l’occupant français. L’enquête semble aller de ce côté. Mais ce serait trop simple. Que vient faire aussi la bande des orphelins dans ce bazar ? Est-elle étrangère à cette tuerie ? Jusqu’à quel point ? L’enquête s’épaissit. La piste des bagnards ne mène nulle part. La bonne aurait eu une relation avec un artilleur. Le scandale est à portée de main. Le lieutenant Koestler l’annonce aux parents qui nient farouchement. Leur fille n’est pas ce genre de fille. L’honneur, l’humiliation d’individus, d’une nation. Il est aussi et beaucoup question de cela dans le roman de Bulteau. D’ailleurs, on connaît désormais le nom du sergent dans l’expédition de la mort : Alphonse Lachenerre. Le soldat au service de la France et du capitaine Voulet. Un homme raide comme la justice.

Gwenaël Bulteau est un conteur. Il sait nous tenir en haleine. Un habillage littéraire qui dissimule un autre motif : nous décrire l’Algérie de cette époque. La violence des chaouchs, l’avidité des colons, et l’antisémitisme. Loin de leur France, certains Français collent à l’actualité de la métropole. L’affaire Dreyfus. On se doit de choisir son camp. Catherine s’y refuse. Elle en paiera le prix. Des personnes piégées par l’Histoire, par les politiques mais aussi par leur petitesse morale et parfois sociale. Persuadés d’être supérieurs parce qu’ils sont blancs. La mort n’a pas plus de couleur que celui qui la donne. Le roman de Gwenaël Bulteau appuie là où ça fait mal, ravive les plaies d’une blessure jamais cicatrisée. Le cold case de l’Etat français, le dossier algérien jamais vraiment purgé. La violence est universelle, la barbarie à portée de tous. L’homme peut tout et rien. Il suffit qu’il fasse le bon choix. Le roman de Gwenaël Bulteau nous le rappelle avec une délicatesse vénéneuse et madrée.

« Malheur aux vaincus » de Gwenaël Bulteau, Éditions La Manufacture de Livres, 288 pages, 19,90 Euros.

 

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