« Jeune couple s’éclate en plein air » d’Aravind Jayan : une comédie douce-amère sur l’Inde d’aujourd’hui

Une femme aime un homme. Et réciproquement. Ils sont jeunes tous les deux. Ils sont Indiens. Qu’est-ce que l’amour dans un pays de plus d’un milliard et demi d’habitants. Tout sauf l’histoire de deux personnes.

À fortiori, quand les ébats du couple se retrouvent sur une vidéo mise en ligne et qui devient très vite virale. La vie privée qui existe déjà si peu, se dissout alors dans un trou noir cybernétique au plus grand désespoir des deux protagonistes et surtout de leurs familles. La copine s’appelle Anita. Le copain Streenath, surnommé aussi Sree. Au moment de cette déflagration cyber-sexuelle, Appa et Amma les parents de Streenath viennent d’acquérir l’objet de toutes les réussites, une nouvelle voiture. Une Honda que le père est content de garer devant la maison. De quoi épater les voisins. Ces mêmes voisins dont ils redouteront plus tard les commentaires acerbes. Les frasques de leur fils ne pouvaient pas plus mal tomber. Douze minutes filmées par un individu mal intentionné et où l’on voit le couple adossé à un grand rocher. Il n’y a pas de sexe réellement mais c’est suffisant pour affoler la toile puritaine indienne. D’autant qu’une scène montre un Stree bien audacieux s’exhibant pendant une longue minute. « Log kya kahenge ? » Qu’est-ce que les gens vont dire ? Le couple devient très vite autant victime que coupable.

Nous sommes à Trivandrum, la capitale du Kerala. Le lotissement où vient se nicher la classe moyenne indienne qui porte un nom évocateur : Blue Hills, les collines bleues. Mais tout va devenir très vite cramoisi. La cellule familiale qui en apparence fonctionne encore selon les coutumes traditionnelles, a depuis longtemps déraillé. L’Inde est un pays émergent. La société de consommation est à portée d’un plus grand nombre. Les parents ont envoyé leurs enfants à l’école. Mais la fenêtre du savoir a bouleversé les rapports intrafamiliaux. Parents et enfants se sont mis à vivre côte à côte, la parole s’est tarie. Posséder est devenu le Graal.  « Comme pour la voiture des années plus tard, mes parents avaient contracté un gros emprunt pour acheter la maison de Blue Hills, pensant sans doute que Stree et moi les aiderions à le rembourser. » Exister individuellement n’a jamais été une forme motrice, une évolution naturelle de cette société désormais lancée à grande vitesse sur les routes de la modernité. Tout a toujours tourné autour du groupe. La diffusion incontrôlée de cette vidéo relève d’une forme de mise à mort de toute velléité d’émancipation.

Le narrateur est le frère de celui par qui le scandale est arrivé. Il est une sorte de médiateur au regard distancié, tantôt en empathie avec son aîné, tantôt exaspéré par ce dernier. Avec ce premier roman, Aravind Jayan nous rappelle que l’une des grandes puissances au monde est traversée de courants contradictoires. Il faut tenter de vivre sa vie de jeune femme ou homme moderne dans un pays de castes et de patriarcat. Il faut aussi affronter le père quand on est un fils destiné à une obéissance aveugle et un futur non choisi. Sur un ton drôle et grinçant, « Jeune couple s’éclate en plein air » a figuré en 2023 dans la shortlist du prix Bollinger qui récompense chaque année outre-Manche la meilleure fiction comique dans l’esprit de P.G.Wodehouse. Un nouvel incident a secoué Blue Hills. Une histoire de trafic de marijuana. Les voisins sont passés à autre chose. Amma a eu l’air agacé. Appa a parlé d’acquérir une nouvelle voiture. Une Benz de troisième main. « Qu’il n’aura jamais les moyens d’acheter. »

 « Jeune couple s’éclate en plein air », d’Aravind Jayan, Traduit de l’Anglais (Inde) par Benoîte Dauvergne, Éditions Actes Sud, 272 pages, 22.50 euros.

 

 

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