« La Mission » de Richard Morgiève ou la destinée incertaine d’un homme

Richard Morgiève ressemble à un joueur d’échecs surdoué. Il avance fiévreux et agité sur le chemin cabossé de la littérature, remplit les cases blanches et noires. Inquiet de ses propres trouvailles, équilibriste des mots et d’une histoire qu’il tient à bout de bras. Toujours faussement nonchalant, en réalité proche d’une perfection ignorée.

« La Mission » parle d’amour. Entre deux hommes. Ils n’étaient pas destinés à se rencontrer. Ils se connaîtront peu de temps, l’un blessé succombant à la mort. Avec Richard Morgiève on est dans ce monde de la beauté des sentiments piétinée. On est aussi au cœur d’une souffrance indicible : « Mon nom, ça ne valait rien. Un nom de l’assistance. » Celui de Jacques Paul. Toujours cette quête de l’identité existentielle douloureuse, vécue comme une injustice permanente, incompréhensible. Jacques Paul, donc, qui se laisse porter par les événements comme s’il rechignait à prendre en main un destin si incertain. « Je devais rejoindre une ferme où l’on m’avait placé et j’ai choisi la rivière. » Acteur de sa propre destinée ? Mais il croise alors un groupe de résistants, on est en 1944. « Ils étaient là, Bonnet, Pierrot et les autres… » La France vit ses dernières heures de guerre. L’atmosphère est volatile, dangereuse, les promesses d’hier ne vaudront bientôt plus rien. Le temps est au règlement de comptes.

D’ailleurs, très vite, ils sont quinze rescapés. Les informations sont livrées au compte-goutte, le romancier joueur d’échecs l’a décidé, rien ne serait facile. Au fond, l’auteur de « Cherokee » se méfie des cases. Les héros du jour ont été vendus par Joubert. Leur tribunal vote à main levée : la mort. Le groupe se disloque. Il est question de Nation, de trahison, de collaboration… Les vainqueurs ont encore changé de visage. Jacques Paul s’enfuit. On l’accuse de viol et de meurtre. Il court, longe le ruisseau et il le voit. Tout en bas dans la caillasse et les genêts. « Je ne m’attendais pas à ça… Quelqu’un d’aussi seul que moi ? » Il est jeune, il s’appelle Erwin Boy. Il a la jambe gauche cassée. Deux fuyards qui vont s’aimer d’emblée. On retrouve les obsessions américaines de l’auteur. Ils veulent aller là-bas en Idaho, « L’État joyaux ». Mais le blessé est un soldat allemand déserteur. Il a refusé de prendre part au délire nazi. En vain. Il se meurt. Avant, il a fait jurer à son amant de prendre possession de son identité. Le surnaturel l’emporte toujours avec Richard Morgiève. Ainsi Jacques Paul/Erwin Boy est-il retrouvé sur un chemin, la jambe cassée, traumatisme crânien, une carte postale à la main. L’Idaho. Un homme se porte à son chevet. On est en 1945. On le désigne comme le Cardinal. On dit de lui beaucoup de choses. Est-il un espion ? Lui aussi attend la mort. Il souffre d’un cancer mais refuse de prendre de la morphine. Ils ont tous une mission, ces hommes croisés sur la route. Ils veulent tous quelque chose de Jacques Paul/Erwin Boy. La Mère supérieure va y veiller. Lui, l’enfant de l’Assistance publique, il sera leur exécutant testamentaire.

Les chemins de Richard Morgiève demeurent sinueux, parfois opaques, le romancier célèbre ce qui l’entoure. « La nature est Dieu. Un jour, elle se vengerait des hommes. » Il y a toujours comme un appel au-secours dans ses romans, une envie furieuse de bousculer, de se bousculer pour tenter de vivre. Et parfois d’être heureux.

« La Mission » de Richard Morgiève, Éditions Joëlle Losfeld, 234 pages, 20 euros.

 

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