« Les Éléments » de John Boyne : la guérison par l’écriture

On se brûle. Furieusement. John Boyne est un sorcier de la chair et du cœur. Le Mal est en nous. Hommes mais femmes aussi. Êtres meurtris dans l’enfance. Marionnettes cassées, irréparables. Le dernier roman de l’écrivain irlandais est tumultueux, tempétueux. Il faut attendre les dernières pages pour entrevoir la lumière du ciel. On souffle sur les braises de nos sentiments malmenés. On respire. À peine.

D’emblée, on est en colère. D’emblée, on fait corps avec Vanessa Willow Hale. Elle nous emmène sur une île irlandaise. Elle et nous, sommes les étrangers. Puis elle se rase la tête. On prend alors nos distances, on regarde, on écoute. Vanessa nous conte une histoire. La sienne. Un drame. Un mari bien sous tous rapports accusé de pédophilie sur huit petites filles, le coup de massue. Une vie qui vole en éclats, la honte, la volonté de disparaître, de se faire oublier, éloigner le plus loin possible de soi cette tache infamante. Se remettons jamais d’une telle découverte. Le retour à la vie chez l’écrivain est audacieux. Il passe pour Vanessa par Luke Duggan, un très jeune homme qui vit sur l’île. Ce n’est pas une histoire d’amour que ces deux-là recherchent. Plutôt une forme de réconfort pour l’un, et de découverte pour l’autre. Rebecca sa fille ne veut plus la voir. Jusqu’au jour où elle change d’avis. Retrouvailles douloureuses, moment de vérité, le premier chapitre intitulé Eau s’achève.

Commence celui de la Terre. Nous avons les pieds bien ancrés dans le sol. Peut-être même à l’abri, pense -t-on. Quelle erreur grossière. Evan Keogh a quitté l’île de son enfance. Il a tenté d’être peintre, a échoué. « Je n’étais pas un artiste. J’étais juste bon en peinture. Tout comme mon père jouait bien au football mais n’était pas un footballeur ». L’inverse d’Evan qui porte en lui cette malédiction de posséder le don, celui du foot. Il a fini par céder et rejoint un club de pro ou il excelle. Mais là tout de suite, son avenir est compromis. Comme celui de son camarade de jeu, Robbie Wolverton, dont le père, Lord Wolverton occupe une place capitale dans le roman, même si à ce stade on ignore encore pourquoi. Les deux amis sont jugés pour viol et complicité de viol sur la personne de Lauren Mackintosh, « la fille ». Non coupable, affirment ils, l’un après l’autre. L’audace toujours, pour ne pas dire la perversité de John Boyne qui conduit le récit là où le sexe tarifié prend toute sa place. Où la vengeance est un plat qui se mange froid.

Un visage. Des mains, les siennes, celles d’une chirurgienne. Qui guérit les corps des grands brûlés. Nous sommes au cœur du Feu. Le docteur Freya serait donc une sainte. Vous n’y êtes pas. De victime, elle est passée à celui de bourreau. Freya, violentée dans son enfance, inflige désormais la souffrance. L’audace de John Boyne n’a pas de limite. Elle est sans doute à la hauteur de sa propre souffrance. Abusé lui-même dans son enfance, l’écrivain tente à travers ce roman cathartique, et sorti dans un premier temps sous forme de nouvelle, de se délester d’une peine abyssale, de juguler une colère dangereuse que seuls parfois des mots peuvent canaliser. L’Irlande a eu son heure de triste gloire en matière de scandale sexuel. À croire que la religion y était pour quelque chose. Freya se charge des adolescents. À sa manière coupable.

Dernière ligne droite. En réalité, un cercle. Et celui qui va en sortir, celui qui va réparer en revenant au point de départ, là où tout a commencé, s’appelle Aaron Umber. Il retourne avec son fils Emmet sur l’île de Vanessa, la première de cette lignée de gens cabossés. Les Éléments est un roman de vie et de survie où le sexe dévoyé a cru l’emporter avant qu’un adolescent obstiné ne dise stop. On reprend notre souffle. On s’envole dans les Airs où les nœuds entrelacés se défont un à un. Doucement mais sûrement.

Les Éléments de John Boyne, traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides, Editions JC Lattès, 506 pages, 23.90 euros.

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