« Ce que dit Lucie » de Christine Barthe : nage en eaux troubles

Lire le court roman de Christine Barthe après les Jeux Olympiques est déstabilisant. Et si une telle chose était arrivée lors des compétitions de natation. Et si une main ou un pied anonyme avaient fait chuter Léon Marchand, le privant ainsi de ses médailles olympiques. Les nageurs sont des fauves. « Ce que dit Lucie » l’évoque par petite touche.

Elle commence par couler. Lucie Mandel a six ans. Elle est sauvée. L’eau est la vie selon Thales. À neuf ans, elle sait nager, elle rafle toutes les médailles. À neuf ans, une main, une autre, ne la sauve pas mais la précipite dans le noir. Ce jour-là, elle perd. Qu’importe. Le professeur de sport lui trouve un club pour s’entraîner. Elle enchaîne les longueurs. Elle est dossiste. Elle remporte la cinquième place. Elle fait la connaissance d’Anaïs. « Notre amitié se scelle », écrit Lucie dans son journal.

C’est pourtant par une arrestation que commence le roman de Christine Barthe. Celle de Lucie Mandel la dossiste, accusée d’avoir noyé ou laissé se noyer son amie Anaïs Bellis la crawleuse, dans l’eau froide de Hendaye sur la Côte Basque. Les policiers sont venus chez elle. Elle a demandé à ne pas avoir de menottes. Le vieux Nice est un village, elle connaît tout le monde. L’inspecteur Aulnes dirige l’interrogatoire. Le roman est ainsi rythmé par des chapitres courts. Les questions du policier et les réponses de Lucie. Et son journal qui apporte des pistes, un éclairage sur cette histoire entre deux amies.  » Personne ne peut comprendre ce que j’ai ressenti le jour où j’ai coulé, et ensuite, quand tout mon corps s’est mis à épouser l’eau. Anaïs, elle, le sait, chacune de ces cellules appelle la mer. Ce n’est pas un sujet entre nous, c’est un état. Sauf quand l’océan est vraiment très froid. »

À l’agressivité de l’enquêteur, la jeune fille répond par une froideur digne des eaux glacées d’une mer de Bretagne. Elle qui a passé son adolescence à se transcender dans les bassins, à nager encore et encore, la distance ne lui fait pas peur. La résistance est son armure. A-t-elle couché avec Anaïs, était-t-elle jalouse, possessive, ou au contraire voulait – t-elle s’envoler, s’émanciper ? L’inspecteur Aulnes s’obstine, attaque, les coups bas sont de rigueur. Lui cherche la vérité, pour la justice. Il est convaincu que Lucie a tué son amie. Il existe une image. Ce à quoi elle rétorque : « Il peut y avoir différentes versions à partir d’un même fait, en l’occurrence, ici, d’une image, ce n’est pas compliqué. »

Christine Barthe avait été sélectionnée par la Bourse de la Découverte de Monaco en 2019 avec « Que va-t-on faire de Knut Hamsun ? » Elle a été psychothérapeute. Son roman est construit sur un face à face psychologique dont elle maîtrise clairement le tempo. Les relances, les mises en abîme, les méandres de l’émotion, elle en fait son affaire. Et nous aussi. On est sous le charme de cette Lucie. Elle ondule, elle épouse l’eau sombre de l’océan mais elle n’oublie jamais ses humeurs. Méfions-nous de l’eau.

« Ce que dit Lucie » de Christine Barthe, Éditions Seuil/Fiction & Cie, 176 pages, 18,50 euros.

 

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