Michael Connelly. Voilà la première chose à laquelle on pense après avoir fini Huitième section de Marc Trévidic. Cet amour de la mécanique justice, cette passion à vouloir transmettre et expliquer. L’Américain le fait depuis des années. Le Français a bien raison de prendre le même chemin. Ancien juge à l’antiterrorisme, il a de quoi raconter.
« Toute la misère parisienne passait entre ses mains: toxicos, sans-papiers, casseurs dans les manifestations, délinquants professionnels mais aussi serial killers ». En gros, que du beau monde. Lucien Autret, substitut du procureur est affecté à cette section depuis trois ans. Il ne devait en faire que deux. Les cadavres possèdent leur propre échelle de valeur. Les cas les plus complexes dépendent de la Crim, le service phare de la police. Alors que vaut ce SDF à la barbe sale et mal taillée? À priori pas de quoi atterrir dans le service noble de la police. Qui a envie de se coltiner ce genre de dossier, à part la Huit qui de toute façon n’a pas vraiment le choix
Un autre cadavre va bousculer la routine de cet homme de bonne volonté. Celui d’un corps entièrement tanné et retrouvé dans une poubelle parisienne mais dont le visage est aussi lisse que celui d’un bébé. Bizarre si l’on remarque que le mort a une bonne soixantaine d’années. Même la légiste n’en revient pas. Le pauvre gars a reçu 53 coups de couteau. Il y a forcément quelqu’un quelque part qui ne l’aimait pas beaucoup.
En parallèle, une autre intrigue, celle d’une jeune Marocaine, dernière fille d’un commissaire de police de Fès. Le récit est raconté par Nesrine. « Au Maroc, une fille baisse les yeux, ça ne parle que quand on lui donne la parole et, quand ça parle, ça demande pardon d’être une fille. Pour les garçons, au contraire, tout est permis. Ce sont des demis-dieux. moi, dès l’âge de six ans, j’avais décidé que je ne jouerai pas à ce jeu ». En quoi les deux affaires sont-elles liées ?
Le roman de Marc Trévidic est une plongée dans les arcanes de la justice. Rythmes de dingue, policiers surchargés, magistrats qui croulent sous les dossiers, pas besoin d’être Einstein pour constater que le système est à bout de souffle. Trévidic nous explique tout par le menu. Le passage des OQTF (Obligation de quitter le territoire français) tombe à pic. Entre les pauvres crétins écossais qui montraient leurs fesses et un loustic au profil plus trouble, les autorités n’ont jamais vraiment le temps de finasser. C’est souvent le centre de rétention sans réel examen de la situation réelle. Derrière la romance, un point de vue politique pointe le bout de son nez.
Lucien Autret fait partie de ces flics étonnants (comme Bosch) pour qui résoudre une affaire vaut davantage que les honneurs. Parce que dépendre de la 8e section du parquet de Paris, c’est franchement la punition. Cela veut dire tout un tas de galères. Comme « être de permanence un week-end sur deux, jour et nuit une semaine sur quatre quand on dépend de la permanence criminelle… » Et ainsi de suite. On n’est pas dans le super flic mais plutôt dans le quotidien de ces agents de l’autorité que l’on place rarement sous les feux de la rampe. Pas de quoi faire rêver. Même dans la vraie vie. La 8ème section a été supprimée en 1999. Il reste à espérer que des Lucien Autret existent vraiment. Désireux de ne faire que leur travail : sans esbroufe et une obstination salvatrice.
Huitième Section de Marc Trévidic, Éditions Gallimard Série Noire, 272 pages, 20 euros.