« Ich bin ein Berliner » ! La phrase de John Fitzgerald Kennedy est mythique. Mais dans le super roman de Yves Grevet et Jean-Michel Payet, le séduisant président américain a bien failli ne jamais la prononcer. La littérature a voulu s’en débarrasser. En vain. La réalité, plus tard, s’en chargera.
La Répétition est un polar historique qui se déroule à Berlin, en 1963. La ville allemande est séparée par un mur. D’un côté la République fédérale de l’Allemagne (RFA) et de l’autre la RDA (République démocratique allemande). L’objectif de Veronika Krauss, née en 1927 à Leipzig, est de passer à l’Ouest. Pour cela, elle doit s’engouffrer dans un boyau inhospitalier. Les consignes ont été strictes. Pas de valise ou de sac. « Juste les vêtements que l’on porte et à la rigueur des bijoux ». Si elle se fait prendre, ce sera deux ans de prison. Le tunnel est long de cent mètres. Impossible de se tenir debout, il faut le parcourir à quatre pattes. Elle a à peine commencé son périple qu’elle entend un sifflet. C’est la Stasi. Explosion, cris et fuite en avant. Miracle, elle parvient à sortir à l’Ouest. Ils seront neuf au total à avoir réussi cette nuit-là. Direction un camp de Marienfelde qui accueille les gens en provenance de l’Est, dans le secteur américain. On les loge mais avant de les lâcher dans la nature, on s’assure qu’il n’y a aucun espion parmi eux. Ils ont bien raison. Veronika Krauss n’est pas ce qu’elle prétend être.
À Berlin-Est, Konrad, agent de la Stasi, est informé au petit matin par son adjointe Kirsten. Il y a eu tentative d’évasion. Le passeur, en réalité une fille, a été rattrapé. Elle vient de l’Ouest. Elle va prendre cher. Pour l’heure, elle est à l’isolement. Konrad est un homme du système, typique dans son genre. Il se méfie de tout le monde, même de son fils aîné Klaus qui aime trop le Rock’ n Roll, selon lui. C’est un fervent partisan du régime. Il croit en leur nouveau monde socialiste. Il conspue la décadence de l’Ouest. Il va s’occuper personnellement de la détenue du sous-sol. Ce ne sera pas un souci, elle se mettra à table rapidement. « Mes supérieurs ne pourront être que satisfaits ». Un pur produit de cette Allemagne, petite sœur de l’Union soviétique, et qui craint d’être à l’origine d’une troisième guerre mondiale.
Ralph Misselwitz travaille pour le LfV, le service de renseignement intérieur, plus précisément pour son antenne régionale à Berlin-Ouest. Il est appelé dans le centre de Marienfelde. Une femme a été tuée. Et une autre a fichu le camp. Une femme d’une quarantaine d’années qui avait déclaré être fleuriste. Avec des cicatrices un peu partout sur le corps, celle qui l’a ausculté a eu du mal à croire à son histoire de vendeuse de fleurs. Celle qui est morte, s’appelait Beate Lustiger. Désormais, elle baigne dans son sang. Son cas n’était pas clair. Trop de versions différentes à chaque interrogatoire. Est-ce que toute cette affaire a un lien avec la venue du président Kennedy ? Pour Ralph, ce serait le pire des scénarios.
June Holman est affectée comme secrétaire auprès du général Kirby, un personnage détestable. Elle est tenue à la plus stricte confidentialité. Ce qui est compliqué puisqu’elle sort avec Ralph qui n’est pas perçu d’un bon œil par les gars de la CIA qui le soupçonnent d’être encore un peu nazillon sur les bords. Lui, sait très bien prendre cette June, demoiselle complexée et qui n’en revient pas de susciter l’intérêt d’un beau gaillard comme Ralph. Au point de lui lâcher des informations confidentielles.
La tueuse. Veronika. Une machine de guerre. Entraînée, surentrainée, pas de place pour les sentiments. Agent de l’Allemagne socialiste mais aussi de la maison mère, l’Union soviétique, et bien malgré elle, d’individus à l’agenda tout à fait personnel. Se débarrasser de John Kennedy est en haut de leur liste. Veronika Krauss, manipulée par son agent traitant soviétique, prisonnière d’une idéologie dévoyée. Qui pourra l’arrêter ?
Les deux auteurs nous font passer de l’Ouest à l’Est et inversement avec toute la magie de la fiction. L’époque est trouble. La population doit être dénazifiée. Les Alliés sont à la manœuvre et on est en pleine Guerre froide. Américains et Soviétiques se marquent à la culotte. La course aux scientifiques bat son plein. La bombe atomique est dans l’air. On nage en plein paradoxe. Dénazifier une Allemagne coupable et exonérer de tout, ceux dont on a besoin. La belle hypocrisie. Au milieu de ce grand bazar, des Américains dingos (déjà) se sont mis en tête de dégager pour de bon le plus célèbre des présidents au monde : John Fitzgerald Kennedy et son sourire pub pour dentifrice. Mais ils en ont oublié le facteur humain, celui qui fait tout dérailler et permet à la raison de l’emporter. Pour cette fois.
La Répétition, Berlin 1963, de Yves Grevet et Jean-Michel Payet, Éditions 10/18 Inédit, 504 pages, 18.90 euros.