L’histoire est fantastique et le ton du narrateur ne l’est pas moins. On est entre l’Amérique et la France, les good et les bad cops, des avocats hors norme et surtout la belle et la bête. La belle sera innocentée, la bête finira derrière les barreaux. Presque sans surprise.
Parce qu’ il en faut du cynisme et de la force pour accomplir ce que Cécile, c’est ainsi que le romancier Victor Guilbert a décidé de l’appeler, a exprimé envers « son roc », Hervé, le père de ses deux enfants. De même qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des tortionnaires nazies féminines ont souvent bénéficié de peines bien plus légères que leurs homologues masculins, au nom d’une misogynie inconsciente favorable « une femme ne serait jamais capable de ça », Cécile a raflé la sympathie des inspecteurs, accessoirement en balançant son grand amour, et surtout parce qu’elle était très très jolie. Après tout, ce n’est pas elle qui avait porté le coup fatal.
Non. Effectivement. En revanche, elle n’est pas restée là sans rien faire. Le sac poubelle, le Scotch, les vêtements éparpillés dans les décharges de Brooklyn, les contorsions pour plier le cadavre afin de le mettre dans la voiture, Cécile a bien pris sa part de responsabilité. Et que dire, de cette fabuleuse idée, de profiter de la tragédie du 11 septembre, pour fourrer Angelo, le pauvre colocataire de cette soi-disant bande de potes, parmi les autres disparus et attendre que la roue tourne. On lit hypnotisé ce récit de malade retracé par Victor Guibert qui dit avoir eu vent de cette incroyable rumeur : des Français auraient caché le cadavre d’un homme dans les décombres des attentats du 11 septembre 2001.
Mais il le fait à sa manière truffée de commentaires personnels et de digressions. Il touche du doigt le racisme systémique américain, Hervé est sénégalais, son avocat en fera sa ligne de défense imparable. On est aux États-Unis, la question de la race est ultra sensible. Victor Guilbert se permet aussi d’imaginer, de se mettre dans la peau des personnages, certains qu’il finira par rencontrer, et d’autres qu’il apercevra de loin. Comme Cécile, l’insaisissable Cécile qui a tenu six ans. C’est long. Mais qui a fini par craquer face à un policier du NYPD assez malin pour la faire parler, mais assez nigaud pour se laisser berner par une apparente fragilité. C’est bien connu, les jolies filles ont toujours besoin d’être soutenues.
Dans les pas de l’auteur enquêteur, on rend visite à tous les protagonistes d’un crime qui a bien failli rester impuni. On navigue entre le droit français et américain, on se balade à Brooklyn, dans le Queens, bref on marche beaucoup. Dans tous les sens du terme, peut-être. Victor a écrit un précédent polar, « Douve » qui se déroulait dans le monde rural. Il semble aimer les mystères. Pas étonnant que cette histoire ait capturé son imagination. On est dans le mystère du mystère. C’est la première fois qu’il s’attaque à une histoire vraie. Lorsqu’il rend son manuscrit à l’éditeur, ce dernier l’interroge : « Tout le monde trahit tout le monde dans cette affaire. Et Cécile, qui la trahit ? » Et le romancier de gentiment tapoter son manuscrit…
« La Trahison de Sunset Park » de Victor Guilbert, Éditions Flammarion Samouraï, 360 pages, 20 euros.