Surprenant et formidable. « L’Affaire de la rue Transnonain », une histoire vraie, nous ramène en 1834 dans une France où le monarque sourd à la colère du peuple, commet boulette sur boulette à l’initiative d’un horrible personnage politique, Adolphe Thiers, lui-même un homme du peuple mais qui, assisté du sinistre maréchal de camp Bugeaud, renie ses origines et opte pour une violence aveugle. Les massacres perpétuités au cours de la Commune de Paris seront disséqués plus tard par les historiens, utilisés, revendiqués par les protestataires de tout poil. Mais un seul a clairement fasciné Jérôme Chantreau, celui d’un immeuble d’habitations où des innocents dormaient paisiblement lorsqu’une meute de soldats assoiffés de sang est entrée pour se venger.
Jérôme Chantreau, a repris ce cold case un peu oublié et redonné vie aux protagonistes de l’un des faits-divers les plus tragiques de Paris, et d’une certaine façon leur rend hommage à défaut de justice. L’auteur commence par elle, Annette Vacher, sublime figure féminine du roman, qui caresse le dos de son amant, Louis Breffort. Le couple vient de s’offrir sa première nuit d’amour. Ce sera aussi la dernière. La suite est un déchaînement de violence au cours duquel les hommes du 35e de ligne auront pour mission de tuer tout ce qui bouge. Femmes et enfants compris. Au total, douze personnes sont assassinées et bien d’autres blessées. Pour l’avocat Ledru-Rollin, c’est un crime d’État.
Un homme est chargé d’enquêter sur cette tuerie. L’inspecteur Joseph Lutz, une force de la nature, un des anciens de Vidocq lorsque ce dernier était encore en poste. Mais sa feuille de route donnée par le préfet Canler est biaisée dès le départ. Parce qu’on ne demande pas à cet inspecteur de faire son travail et de retrouver le soi-disant tireur qui a assassiné un capitaine, ni-même de réunir des preuves, mais de les fabriquer. Le coupable s’appelle Louis Breffort. C’est d’autant plus pratique qu’il est mort dans la foulée. Ce sera la version de L’État et rien que celle-là.
L’auteur nous décrit un Paris où le froid a gelé la puanteur, où six mille barricades ont été construites en deux jours. Un Paris où le peuple survit plutôt qu’il ne vit. Lui-même est retourné sur les lieux du massacre, dans cette rue anciennement Transnonain et qui répond désormais au nom de Beaubourg. « J’ai arpenté ces parcelles de bitume à la manière d’un voyageur du temps ». Au numéro 62 de la rue un immeuble cossu a remplacé le 12 de la rue Transnonain. « Il est entouré de réparateurs de téléphone, de restaurants de sushis, de Biocoop ». Un peu loin, au coin de la rue Beaubourg et Chapon, une simple inscription dans la pierre, Rue Transnonain. « Aucun panneau explicatif de la Ville de Paris pour éclairer le curieux ». Jérôme Chantreau ne s’en est pas contenté, il a cherché, fouillé et retracé ce fait-divers historique. Et avec lui, on bouge pas mal dans la capitale, on “passe le mur des Fermiers généraux et l’on va se percher sur les hauteurs de Belleville, dans cette partie du village adonnée aux plaisirs et à la liberté, la Courtille”. Il y aussi le Luxembourg, la rue du Caire, les bas-fonds parisiens et puis les premiers becs de gaz qui éclairent la chaussée du boulevard Haussmann. C’est un voyage dans le temps où l’histoire d’Annette Vacher nous est aussi contée.
Annette la prostituée aux cheveux roux et d’une beauté incandescente. Son corps est d’abord à la disposition des hommes. Puis elle rencontre deux femmes, deux féministes qui la sauvent. En même temps, elle se cache, elle sait que la police la recherche. Elle, la rescapée de la rue Transnonain. Bientôt, elle obsède Lutz qui veut l’épargner. La troquer. Il trouvera les preuves et on la laissera en dehors de tout ça. Inconsciente de ce deal à son sujet, elle tente de réparer sa vie et celle des autres. Elle quitte Paris. On languit encore, fasciné par ce petit bout de femme en quête de rédemption. Elle confirme que la grande Histoire est constituée de ces petits destins anonymes qui ressurgissent parfois des années après. Jérôme Chantreau l’a ressuscitée et une envie impérieuse nous saisit : rendons-nous rue Transnonain. Là où une femme et un homme se sont aimés avant d’être broyés par la raison d’État.
« L’Affaire de la rue Transnonain” de Jérôme Chantreau, Éditions La Tribu, 463 pages, 23 euros.