L’amour déglingue de Denis Michelis

« Le problème » serait donc Barnabé. En tout cas, Randolf, son père, psychiatre de renom dans la région, le dit. La mère, Marie-Éliane, elle, sait. Elle l’a porté dans son ventre. Elle aime encore faire bouillir le lait, le verser dans un bol et touiller vigoureusement pour que le chocolat en poudre, dont la teneur en cacao est à quatre-vingt-dix pour cent, se dissolve complètement. Le père n’a pas de cœur, elle, oui. Barnabé est peut-être un problème mais il restera, il ne retournera pas en hôpital psychiatrique. Denis Michelis est un joueur. Il aime les parties de Cluedo. Son dernier roman, « Amour fou » en est une sérieuse illustration. Avis aux amateurs.

Alors que faire de cet enfant à problèmes ? On le garde mais on ne le montre pas. Le père et la mère négocient. « Le problème » sera en quelque sorte assigné à résidence dans sa chambre. Enfin, la chambre du haut, celle avec la salle de bain, celle dont la vue plonge sur les falaises. La mère n’est pas peu fière de cet arrangement décroché, comme ça de haute lutte et sur le fil, face à un père récalcitrant. En bref, il est relégué au grenier où il « sent une odeur pénétrante de souris et d’araignée. »

L’enfant pas prodige du tout est donc revenu à la maison, après quatre ans d’hospitalisation. Á cette époque, une jeune femme, Rosalie, avait été retrouvée morte, noyée. Une enquête avait été ouverte parce que Barnabé avait connu Rosalie. En quelque sorte. Une procédure « on ne peut plus ordinaire » lorsque quelqu’un meurt sur la voie publique. Faute de preuves, Barnabé avait néanmoins échappé à la prison. Mais voilà, qu’une deuxième victime est découverte, au même endroit, en contrebas du Belvédère, dans cette ville côtière nichée entre d’abruptes falaises et une campagne paisible. De la même façon qu’il avait connu Rosalie, il aurait côtoyé cette nouvelle victime. En réalité, le fils problématique souffre d’érotomanie qui n’est rien d’autre qu’une fixette amoureuse envers quelqu’un que l’on ne connaît pas forcément. Et surtout, détail d’importance, l’objet de tous ces désirs n’a en général aucune idée de ce qui se trame. En général, ces romantiques intenses ne sont pas méchants si ce n’est que 30% d’entre eux peuvent devenir violents. Cette fois encore, le raccourci est facile et évident. Barnabé qui entend des voix dans sa tête, est le suspect idéal. Il est décidément vraiment « Le problème ».

Le récit est raconté par les différents protagonistes. C’est un point de vue subjectif sur les événements. Ainsi Célia, amie de Rosalie (avec laquelle elle avait pourtant perdu tout contact), pense-t-elle le plus grand mal de Damien, le mari. « Quel gâchis. S’amouracher d’un type comme Damien et finir dans cette maison sans âme aux murs froids, en pleine campagne. » Le flic s’appelle Thomas. Il donne des master class dans les collèges-lycées. Sur le harcèlement… Randolf a sa version et Marie-Éliane, n’en parlons pas.

Justement, Clarisse, tombée d’une falaise, et à qui il envoyait « Des centaines d’appels, des SMS, tu lui as même envoyé des lettres alors qu’elle s’en foutait royalement. » Thomas le flic, les connaît ces gars-là. « Elle ne t’aimait PAS : il faut te le répéter combien de fois ? » hurle-t-il à Barnabé. Mais il a un alibi, Barnabé : maman jure qu’il n’a pas quitté la maison. Maman, la reine du gratin-dauphinois, des assiettes de pomme d’amour, des plats régressifs comme des purées, des compotes, du riz au lait. La mère aimante et protectrice, une véritable louve. Qui sépare le bon grain de l’ivraie.

« Amour fou » est une sorte de chassé-croisé entre les personnages et le lecteur. Réalité, illusions, ou fantasmes se superposent au fil de l’enquête, parce qu’il y a bien une enquête, mais sur le ton de la moquerie, de la dérision. Denis Michelis a voulu s’amuser, nous amuser, pas question de se prendre au sérieux dans ce drôle de polar où pourtant, des sujets sensibles comme la folie d’un individu, sont traités avec beaucoup d’humanité. Au fond, qui décrète que l’on est fou ? Par rapport à qui, à quoi ? Aux normes sociétales ? Á ces mêmes normes qui cataloguent les bonnes et les mauvaises mères ? Denis Michelis apporte une réponse aussi noire que loufoque.

« Amour fou » de Denis Michelis, Éditions Noir sur Blanc, Notabilia, 416 pages, 23 euros.

 

 

 

 

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