C’est un premier roman furieusement féministe. Une fiction tirée d’une histoire vraie ayant eu lieu en 1679. La justice de l’époque n’allait pas rater une accusée de ce calibre. Une lady, adultérine, putain et meurtrière, surnommée la « Dame blanche de Corstorphine ». La romancière écossaise Kate Foster aussi n’est pas passée à côté de ce true crime fabuleux et nous conte l’aventure malheureuse d’une femme de sang bleu qui s’est crue tout permis, et qui fut punie de cette audace, décapitée par la lame tranchante du « Baiser de la Demoiselle ».
Un bien joli nom donné à l’ancêtre de la guillotine française, la redoutable machine, « conçue pour décapiter les membres de la noblesse », avec un mécanisme rapide et réputé moins douloureux que cette bonne vieille hache. « Sans qu’aucune de ses victimes n’a survécu pour en témoigner ». Le roman de Kate Foster est savoureux. Il nous transporte à une époque de libertinage absolu et d’obscurantisme religieux tout aussi vivace. L’église est toute puissante. Elle régit l’existence de ses ouailles. Seuls les nobles s’enhardissent et tentent de s’en affranchir.
Comment a-t-elle pu croire qu’elle n’allait pas en payer le prix ? Lady Christian Nimmo s’est amourachée de son oncle lord James Forrester. Ce fut un long et patient processus de la part de ce dernier. En bon prédateur qu’il est, il a repéré sa proie à l’adolescence, bénéficiant de son statut familial de proximité. Le père de Christian est mort. Lord James gère les comptes. « Il ne repartait jamais les mains vides. Les biens disparaissaient dans les voitures qu’il envoyait. Et pendant un certain temps, nous avions droit aux meilleurs morceaux de viande, aux tourtes au bœuf et aux rognons. Aux robes neuves. Ils vendaient nos biens au nom de Mère ». Le gentil tonton ne prend pas que ça. Il considère sa nièce comme une prise de guerre. Nécessaire à sa libido insatiable.
Lord James joue sur du velours. L’enfant devenue femme a épousé un marchand de tissus. Un homme bon et généreux, respectueux au point de l’ignorer lorsque la nuit tombe et que les couples se retrouvent à l’abri des regards dans leur chambre fermée. En réalité, Andrew Nimmo n’a que peu d’appétence pour le corps féminin. Or, lady Christian déborde d’un appétit sexuel que ce cher oncle James a su attiser. Cela tombe bien. Andrew part souvent en voyage. L’épouse délaissée trouve refuge chez cet amant libidineux qu’elle croit tout à elle. Si les apparences restent sauves quelque temps, le sens des conventions s’envole au fil des pages et du drame annoncé. D’autant que Christian découvre une autre femme qui intéresse aussi James : Violet la servante qui n’en n’est pas une mais une prostitué que le laird extirpe régulièrement du bordel du coin pendant plusieurs semaines, et qu’il cache dans une aile de la demeure. Les deux femmes finiront par se rencontrer.
Le portrait de la prédation à cette époque est remarquable. Dans une toute puissance caractéristique, ce nanti protégé par une impunité totale, se sert de son statut social pour traîner toutes les femmes dans son lit. Christian qui se brûle d’amour pour cet homme comprend trop tard sa bévue. Mais ce n’est pas l’ère MeToo. La transgression sociale de Christian est allée trop loin. Pour cette fois, même sa parole n’aura pas le poids de celle d’une fille de joie. Comment est-ce possible ? Kate Forster dresse un magnifique portrait de femme. Ou plutôt de femmes. Toutes, quel que soit leur statut, sont prises au piège de la volonté et du désir de l’homme. Il n’y a pas d’affranchissement possible.
Le désir, voilà ce dont parle Kate Forster. Et celui de la gent féminine ne peut exister dans cette société bon teint et religieuse jusqu’à l’excès. Celui de ces messieurs est en revanche tout puissant, même si dans le cas de James, il le conduira à sa perte. La mère de Christian, sa sœur, toutes savaient ce qui se tramait, mais la peur du déclassement les a poussées à fermer les yeux. Laissant la jeune fille bien incapable de résister aux assauts de cet homme sans limite. Le jour fatidique, elles sont trois autour de leur proie : Christian, Violet et Oriana, la bonne. Cette dernière, faussement et tragiquement renvoyée du château pour vol, a dû goûter à l’infâme séance de repentir imaginée par l’ecclésiastique, et elle s’est retrouvée assise sur le tabouret à l’église, sous les yeux de tous. Ce jour-là, pourtant, ce trio bafoué, humilié et incapable de se défendre, a pris son destin en main. Un poignard et une mise à mort. Une seule en paiera le prix fort. Lady Christian meurt vêtue d’une robe en dentelle exquise. Offerte par son marchand de tissus de mari. Un homme qui aimait habiller les femmes mais sans jamais les toucher.
« Le Baiser de la Demoiselle » de Kate Foster, Éditions Phébus, 406 pages, 22,90 euros.