À ceux qui pourraient se demander comment on passe du journalisme à la fiction, Douglas Preston répond : « Jamais je n’aurais pu devenir romancier si je n’avais pas été journaliste auparavant ». « Le Tombeau oublié » est composé de treize récits passionnants d’ossements et de meurtres racontés par le romancier américain qui d’ordinaire signe souvent avec son acolyte, Lincoln Child. Mais cette fois, il l’a joué solo.
L’homme l’avoue, au départ il ne s’intéresse pas à la fiction. Seul le réel compte à ses yeux. Encore que. S’il y a un semblant de surnaturel, pourquoi pas. La preuve avec cette histoire de chasseurs de trésors à Oak Island. Il convainc le Smithsonian Magazine de l’envoyer là-bas et il se retrouve au bord du Money Pit, ce puits abandonné dont sa mère lui avait raconté l’histoire lorsqu’il était enfant. Un trésor y serait caché et personne ne connaît l’identité de celui qui l’a enfoui. Si lui fait chou blanc, son reportage sera l’article le plus lu de toute l’histoire du journal. À la même époque, il rencontre un jeune éditeur, Lincoln Child, qui change le cours de ses réflexions. S’inspirer du réel et le romancer. Le récit de Oak Island est parfait. Voilà comment peut naître un écrivain.
Douglas Preston a clairement aimé se servir de l’un pour passer à l’autre. Dans cet ouvrage, il revient sur des mystères qui l’ont fascinés tout au long de sa carrière. Des mini thrillers qui sont en réalité de vraies histoires qu’il a même parfois tenté d’élucider. Sa méthode ? Ne pas se démonter la tête en buvant à outrance, mais travailler, chercher des pistes sources d’écriture, surfer sur Internet dont il ne se méfie guère au début. Ainsi retrouve-t-il sur Google le visage et la trace de Petey Stark Anderson, son meilleur ami d’enfance. Ensemble, ils avaient enterré une boîte en fer « recelant la vie de Petey, la précieuse pointe de flèche de Douglas et un morceau de plomb fondu ». Curieux de savoir ce qu’est advenu de lui, il creuse les entrailles du Net. Il s’en serait passé. L’ancien copain a été assassiné en 2011 dans une pension d’Ewing, dans le New Jersey. Une sordide affaire d’abus sexuel semble à l’origine de sa mort. Stupéfaction, malaise, l’auteur s’interroge : « La vérité a-t-elle des vertus salvatrices lorsqu’on la regarde en face ? » C’est malgré tout ce qu’il a fait puisqu’il a publié cette histoire dans le magazine Wired en 2019.
Le réel encore avec « Le Monstre de Florence ». La curiosité l’anime une nouvelle fois. Rencontrer Mario Spezi, le journaliste qui a couvert ce tueur en série, alors qu’il est en vacances avec femme et enfants, ne lui semble pas problématique. Deux obsessionnels dans un même bateau. Un naufrage pour Mario Spezi et une quasi catastrophe pour Preston qui se retrouve en garde-à-vue et échappe à une inculpation abusive décidée par le juge Mignigni qui lui conseille vivement de quitter le territoire. L’Italie encore avec le fait-divers retentissant « Amanda Knox ». Le pays veut la peau de la jeune femme, accusée d’avoir tué une camarade cours. Douglas Preston découvre que c’est à nouveau le juge Mignigni qui officie. Preston accorde une interview à une journaliste de Seattle, Candace Dempsey, la première à mettre en doute les charges contre la jeune américaine. Elle le prévient. Des blogueurs se déchaînent contre Amanda. « Je lui ai rétorqué, plein d’assurance, que j’étais blindé contre les chroniques défavorables ». Le pauvre n’a aucune idée de ce qui l’attend. Il reviendra sur sa naïveté et conclura : « D’une certaine façon, j’ai la conviction d’avoir écrit là, l’un de mes articles les plus importants. Internet fait désormais partie intégrante de nos vies mais le Net est un cloaque de commentaires anonymes, d’insultes, de mensonges, de haine, de théories du complot et de pulsions cruelles qui détruisent des vies, minent la démocratie ». C’était en 2013.
Comme entre-temps le personnage de The Apprentice a réussi pour la deuxième fois à occuper le Bureau Ovale, on se réjouit de changer d’air et de voyager jusque dans la vallée des Rois, en Égypte. l’archéologie est l’une des autres passions du romancier depuis plus de vingt ans. On est donc avec lui dans le tunnel conduisant au tombeau qui abrite la silhouette momifiée d’Osiris. Preston est dans les pas de l’archéologue Kent R. Weeks qui s’est fait connaître en ayant découvert la tombe des fils de Ramsès II. Plus rien ne compte que ces trésors d’un autre temps, pas d’internet, pas d’insultes ou de haine. De la poussière, du sable et des questions. Un vrai bonheur pour un romancier qui adore se servir du réel pour imaginer des trames à enflammer notre imagination.
« Le tombeau oublié » et autres histoires d’ossements et de crimes, par Douglas Preston, traduit de l’américain par Sebastian Danchin, Éditions de l’Archipel, 384 pages, 22.90 euros.