« Vous avez déjà promené un chien, demande le capitaine Beamer. Oui, monsieur, lui répond l’inspecteur Joe McGrady. S’il ignore la longueur de sa laisse, il risque de se blesser, poursuit Beamer. Voici la vôtre. Allez trop loin et je vous briserai la nuque en tirant la vôtre. » Il est clair que les deux bonhommes ne partent pas du bon pied. Mais on est en sous-effectif. Beamer n’a pas d’autre choix que d’envoyer ce jeune flic, ancien soldat, couvrir un homicide à une heure d’Honolulu, dans la baie de Kahana. Aucune intention d’avance masqué pour l’auteur James Kestrel qui signe un polar avec les codes du genre. Sans jamais forcer le trait ou tomber dans la parodie. Un vrai bonheur. Qui va le conduire un 7 décembre 1941 à Hongkong puis Tokyo. Où là les choses se passent très mal pour lui. Il est arrêté, accusé d’un viol qu’il n’a pas commis. Derrière les murs de sa geôle, il entend les bruits de la guerre, les avions, les armes. Les Japonais sont passés à l’action.
Joe est déporté dans un camp de Yokohama. Un homme, un civil, se présente et l’interroge. Il s’appelle Takahasei Kansei, il est le premier adjoint du ministre des Affaires étrangères, Togo Shigenori. Il a du pouvoir, beaucoup de pouvoir. À commencer par le faire sortir du camp. Il le laisse en vie, le temps qu’il rembourse sa dette. Mais quelle dette? Celle de retrouver L’assassinat de sa nièce, ce corps sans visage de la remise. Elle s’appelait Takahashi Miyako. Elle était la nièce de l’adjoint du ministre. Elle travaillait au consulat d’Honolulu. Elle tapait des notes manuscrites de l’amiral Yamamoto. McGrady ne sait même pas qui est cet homme. Il le découvrira bien assez tôt. Il est le cauchemar des Américains, il est l’architecte de l’attaque sur Pearl Harbor.
Le roman de James Kestrel se colore. Il tourne à l’espionnage. Les codes du roman noir classique basculent quelque peu mais l’auteur tient la barre de sa narration avec habileté. McGrady est de nouveau enfermé. Une maison japonaise, un futon, une femme, la fille de son sauveur/geôlier. Elle lui apprend le Japonais, elle lui sert à manger. Ils tournent en rond dans le jardin. Il y reste jusqu’à la fin de la guerre. Il n’avait pas parlé à sa fiancée Molly depuis le 2 décembre 1941. La suite le conduit vers Honolulu. Il doit s’acquitter de sa promesse. Retrouver l’assassin de ce double meurtre. Un homme est dans le viseur. Un Allemand. Japon/Allemagne, l’axe du Mal de l’époque. Le roman de James Kestrel s’offre des moments couleur sépia, des moments de nostalgie douloureuse. Une Amérique attaquée, des personnages comme le bon Noir en produit encore. Et des mois de décembre où la vie d’un homme bascule à tout jamais.
« Cinq mois de décembre, par James Kestrel, traduction de Estelle Roudet, Éditions Calmann Lévy /Noir, 432 pages, 22,80 euros.