Stanislas Kosinski a fait le Mali. C’est un costaud. De retour dans la vie civile, Stan a choisi la montagne des Alpes du Sud pour son âpreté et sa solitude. Un chalet et soixante hectares de maquis et de ravins. Il est passé du cadre militaire à la déconstruction. Quinze années de service à mettre de côté la somme nécessaire pour réaliser sa sortie, son rêve d’enfant. « Son goût pour les châteaux forts et les citadelles suspendues. » Les cailloux et l’herbe grasse ont remplacé le sable et ça lui va très bien. Pas de voisins aux alentours, à l’exception de Ghislaine. Une quinquagénaire qui porte trois couches de vêtements superposés. Mais Ghislaine, ce n’est pas pareil. Elle est discrète. « Elle était la présence qui désarmait ce que la solitude peut avoir d’angoissant lorsqu’elle se prolonge au-delà de la retraite désirée, de la permission… »
L’auteur, Olivier Cielchelski, est scénariste. Le dialogue bavard et superflu n’a pas sa place dans cette tragédie rurale où l’homme tente de se fondre avec la nature en mode survie. L’altitude correspond au pouls du personnage au fur et à mesure du roman. Elle est l’accroche des trois chapitres qui rythment le livre. Alt. 840m, Alt.1250 m, et Alt. 1830 m, le climax. En militaire aguerri, Stan sait ce qu’est l’ennemi. Mais l’enjeu n’est plus le même que là-bas au Mali, il se joue dans un décor minéral où il lui faut se débarrasser de ce qui l’encombre. Quitte à revenir à l’état sauvage. On est captivé, absorbé par cette course contre la mort dans un paysage où la nature se moque comme d’une guigne des tourments de l’espèce humaine. Elle règne, insensible, implacable. « Feux dans la plaine » est son premier roman. Hypnotique.
L’intrusion est venue du sentier bleu où il découvre une cartouche vide. Quelqu’un a ouvert un chemin sur son territoire, à côté de l’air de nourrissage. Il interroge Ghislaine, questionne le maire. L’ancien soldat entrevoit le danger, il connait les armes et les hommes, il sait ce que les deux associés signifient. Le début des emmerdes. Sous les traits de Guy Castagnary, « une sorte de baron rustique et débraillé. » Stanislas demande des excuses. L’autre ne comprend même pas sa requête. Le drame est enclenchée. Très vite, il y a deux camps. Ceux d’ici et l’autre, l’étranger. Ils l’ont toléré jusque là mais il était temps de lui rappeler qu’il n’appartient pas à cette terre. C’est la leur, il dépend de leur bon vouloir. Ils s’octroient le droit de chasser où ils veulent. Ils passent de la tolérance à l’intolérance à la vitesse de l’éclair. Jusqu’à un point de non-retour. Lui qui pensait couler des jours paisibles comme « un paysan de Gao » libre de son destin, va prendre le maquis. Les chasseurs se lancent à sa poursuite, ils sont lourds, patauds, mais ils connaissent bien ces montagnes, et ils ont la rage, une obstination obtuse et des armes. Le combat est inégal, ils sont plusieurs, lui est seul mais lui est un survivant. De sa propre enfance en famille d’accueil, de la guerre, du combat, de la peur et de la mort. Il remplit sa bouteille dans les ruisseaux, il se nourrit de champignons, de plantain, de mûre ou encore de carottes sauvages. Un jour, il pille même un nid d’abeilles. Stan se confond avec les pierres, il peut marcher longtemps, ne pas dormir, transpercer la nuit, il est un guerrier qui ne trouve jamais le repos. Il peut tuer.
Dans sa fuite, il rencontre un ermite puis ce sera l’ours. Pour la première fois, l’ancien soldat a peur, véritablement peur. L’animal est une arme de destruction massive à lui tout seul. Le plantigrade mugit, se dresse, se lance, Stanislas tire. Il n’y a plus de retraite, de solitude maîtrisée, il ne reste que la fureur de vivre. Réussira – t – il ? Olivier Ciechelski signe un roman très noir, du pur « Nature Writing » à la sauce Giono. Excellent.
« Feux dans la Plaine » par Olivier Ciechelski, Éditions Rouergue/Noir, 256 pages, 20 euros.