« Les Marais rouges » de Jean Toulko : le sombre passé en héritage

Pour les amateurs de séries télé qui se déroulent en Pologne, vous savez déjà qu’il se passe souvent des choses pas très très jolies dans ces contrées labourées par des vagues successives d’envahisseurs. Il règne dans le premier thriller de Jean Toulko, cette même atmosphère poisseuse que dans ces créations format petit écran. « Marais Rouges » est une petite réussite qui a remporté le Prix des détectives 2025. À juste titre.

Les Marais ont un roi. Il s’appelle Pavel Wronski. Quand on le découvre au tout début du roman, il vient d’avoir essayé d’étrangler Irina Igorenko, une jeune femme qui a débarqué il y a une quinzaine d’années dans la ferme, et que Pavel a accepté sans poser de questions. D’où son indulgence à ne pas faire toute une histoire de cet égarement qui a failli lui coûter la vie. Bizarrement, elle a appelé Maya, une voisine et amie. Enfin, amie ne veut pas dire grand-chose dans le coin. D’ordinaire, Pavel est le seul à s’occuper de ses chiens mais cette fois, ce sont Irina et Maya qui s’y collent. « Ces bêtes me font le même effet à chaque fois. De la glace dans tout le corps », se dit Maya.

Nous voilà dans les Marais rouges, au nord-est de la Pologne, dans une zone sauvage de cinquante kilomètres sur cinquante. La capitale Varsovie se trouve à 250 kilomètres plus au sud. C’est le paradis des oiseaux migrateurs. Les gens sont peu nombreux, la terre est aride et l’Histoire peu glorieuse. Toutes les maisons ont été vidées de leurs habitants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce pays est traversé de cicatrices. Pour cette région des Marais rouges, on peut parler de plaie béante. Maya a eu la drôle d’idée d’acheter et de retaper une dzialka (masure locale) il y a une dizaine d’années, et vit même de façon permanente depuis un an. On ne peut pas dire qu’elle ait été bien reçue. Une sorte de bizutage qui a fini par cesser. Elle se croit sauver.

La mort violente de Pavel, bouffé par ses chiens, va déclencher une tempête où le passé de ce pays tourmenté a son mot à dire. Qui était-il en réalité ? Ils sont trois à graviter autour de cette énigme, Alicja, l’aubergiste taiseuse, Maja, militante désillusionnée, et Gaspard, le Français échoué là on ne sait trop pourquoi. Tous ont leurs blessures, leurs zones d’ombre. Huis clos rural et brutal, où chaque personnage incarne une faille dans l’Europe d’aujourd’hui, « Marais rouges » interroge sur la culpabilité collective. Le grand méchant a été identifié, l’ancien dignitaire communiste, Pavel Wronski. Mais les autres. Ceux qui savaient, ou croyaient savoir, ceux qui ont tourné le regard, qui ont cédé au chantage, eux, quelle est leur responsabilité ? Dans cette zone de non-droit où la folié s’épanouit comme de la mauvaise herbe, Maya, ex-militante féministe idéaliste, femme de valeurs, s’acharne à connaître la vérité. Inconsciente ou courageuse ? Le roman de Jean Toulko est à prendre au sérieux. Pas seulement pour ses qualités narratives évidentes, mais aussi pour le contexte historique dans lequel il s’inscrit et dans lequel le pays se trouve aujourd’hui. Avec une Russie toujours aussi belliqueuse et meurtrière à sa porte. Les traumatismes de l’occupation nazie puis soviétique sont loin d’avoir été réglés. Il a suffi d’une mort bizarre avec l’apparence d’un fait-divers malheureux pour que la machine de la violence se mette à nouveau en branle. Pour que les faits et gestes de tout un chacun dans la grande lessive de l’Histoire, déraillent à nouveau.

« Les Marais rouges » de Jean Toulko, Éditions Seuil/Verso avec Le Figaro Magazine, 400 pages, 14.90 euros.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.