« Les Ombres de Oak Island » de Wiley Cash : l’ennemi intérieur de l’Amérique

Nous sommes en 1984, dans le comté de Brunswick sur la petite île de Oak Island, en Caroline du Nord. La carte postale du rêve américain. On vit au rythme des saisons et des petites choses. La nuit, le clapotis de l’eau, les grillons qui montent en volume. On laisse ses bagues dans un bol chaque soir après dîner, avant la vaisselle. Winston Barnes est shérif depuis treize ans. Là-bas, ce sont des postes d’élus. Son mandat est remis en jeu. Il sait que cette fois, rien n’est gagné. Pire, il pressent qu’il va perdre. Ce qu’il ne devine pas, c’est l’ampleur du désastre à venir.

Tout commence avec un avion. Retrouvé en pleine nuit en bout de piste de l’aéroport. La carlingue est vide. Mais à côté de la carcasse gît le corps d’un homme. Celui de Rodney Edward Bellamy, un jeune homme sans histoire, fils de Ed Bellamy, professeur au lycée local. Rodney était marié et venait d’avoir un bébé avec Janelle qui elle, vient d’Atlanta. Ils sont noirs. Hypothèse logique et immédiate pour les politicards locaux racistes : trafic de drogue. Surtout pour Bradley Fry qui rêve de dégommer Winston à son poste de shérif. Mais la dope n’est pas crédible pour Winston. Il connaît la famille, pas le genre. Il n’empêche, l’affaire est suffisamment importante pour que Leonard Dorsey, Président du comité du comté lui colle un agent du FBI. Winston tique. Il a déjà sa femme Marie sur le dos parce qu’elle estime qu’il a besoin d’aide, lorsqu’il sort seul dans la nuit. Il se sent pourtant tout à fait capable de résoudre l’affaire sans aucun secours. Accessoirement, ce serait un bon point pour le scrutin prochain.

Son adversaire. Bradley Fry, un blanc, fils de famille riche indolent et qui porte un révolver à la ceinture, alors que c’est interdit. Un connard pour beaucoup. La température monte, on prend même un coup de chaud. Les éléments de la tragédie se mettent en place. Le couple Barnes a eu une fille, Colleen. Elle a appelé, elle attend à l’aéroport, elle a quitté Dallas le matin même laissant derrière elle, un mari estomaqué. Son père vient la chercher. Il est toujours là pour elle. Elle ne lui dit pas qu’elle s’est mise à boire. Elle demande un chewing-gum au chauffeur de taxi qui attend dehors. Pour masquer l’odeur. Elle a 25 ans, elle est blanche et n’est jamais allée chez ses amies noires lorsqu’elle était enfant. Collen vient de perdre son bébé et Janelle, son mari. Ce sont deux chagrins qui vont les unir momentanément, deux souffrances qui se passent de mots. Deux destins de femmes aux couleurs différentes mais dont le chemin se rejoint dans la tragédie. Diplômées toutes les deux, elles ont tout arrêté pour élever leur bébé.

Le couple Bellamy accueille depuis le début de l’été Jay, 14 ans, le petit frère de Janelle. Il a fait une petite bêtise là-bas, à Atlanta. La campagne devrait lui faire du bien. Il est inscrit à l’école pour la rentrée. Il n’est pas content, s’ennuie, fouille dans la maison, trouve la mallette où range son arme : un Springfield. L’intrigue s’emballe. Le thermomètre passe au rouge cramoisi. Les tuniques blanches du Klan sortent du bois. Le drapeau confédéré flotte à l’arrière des pick-up. Winston s’est toujours appuyé sur Vicky l’assistante, la secrétaire. C’est elle qui filtre les messages. Celui de cette nuit, celui-là, elle ne l’a pas été transmis. Il la regarde. Elle le fixe. Plus rien ne sera jamais comme avant ou plutôt rien n’a jamais changé. Lui seul était frappé de cécité. Elle n’a jamais aimé les « nègres ».  A 17 heures pile, elle quitte le bureau sans dire aurevoir.

« Tous les gens, quel que soit leur race, sont plus motivés par la peur et la puissance que par l’argent et la fierté ». Vraiment ? Une intrigue tendue avec tous les démons de l’Amérique. Winston Barnes et un homme bon. Il fait confiance. Il accueille chez lui l’agent Groom du FBI censé lui prêter main forte, faute de place dans un hôtel du coin. Colleen fouille dans ses affaires. L’homme est auréolé d’un mystère qu’elle perçoit menaçant. Son père sourit. Il va prendre l’avion, il la verra plus tard, à elle de venir le chercher cette fois.

Wiley Cash a été récompensé pour la troisième fois du Southern Book Prize. Il est devenu une vraie référence pour cette littérature du Sud de l’Amérique. Avec « Les Ombres de Oak Island », il remue encore une fois le couteau dans la plaie. Le pays se débarrassera- -t-il jamais de ce fléau qu’est le racisme ? A l’heure où Donald Trump fait figure de archi-favori à la prochaine élection présidentielle américaine, on peut en douter. Les suprémacistes de tout poil fourbissent leurs armes dans une ombre devenue clarté. Ils n’attendent plus que le retour de leur chef. Pour frapper un grand coup. Et une bonne fois pour toutes. Si Winston demeure le personnage principal du roman, Vicki l’assistante est sans doute la plus emblématique de cette Amérique crépusculaire. Toujours là, souriante, polie et serviable. Jusqu’au jour où. L’ennemi intérieur aux multiples visages. Combien sont-ils aujourd’hui comme elle, en Amérique ? Beaucoup trop.

« Les Ombres de Oak Island » de Wiley Cash, traduit par Jacques Collin, Éditions du Seuil, Collection Cadre Noir, 432 pages, 22,50 euros.

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