Ce n’est toujours pas facile d’être un vampire. Le nom a changé, c’est sûr, mais le système de fonctionnement demeure intact. La créature qui fait peur aux enfants doit toujours se nourrir de sang et éviter la lumière. Les frères Jesse et Edgar s’inscrivent dans cette lignée des héritiers de Dracula Vlad. Leur but dans la vie est le même que leurs prédécesseurs et divers ancêtres : traquer les futures victimes pour leur planter une bonne paire de crocs dans le cou. De préférence. Pas de récit sirupeux à la Anne Rice pour le romancier Richard Lange. Lui préfère les tonnes d’hémoglobine, les motards craspouilles et les lascars en perdition. Ce sont ses « Vagabonds ».
Dans un style ultra-nerveux et toujours au présent, Richard Lange nous embarque dans une Amérique où les rues sans lumière abritent le festin des vampires, version 70’s. Paumés, junkies et prostitués. Insensibles aux maladies et aux microbes – il faut bien admettre que grâce à cette chasse d’un goût douteux au cours de laquelle ils débarrassent de la planète terre quelques éléments contestables et contestés -, les « Vagabonds » errent dans les limbes d’une vie qui s’étire sans fin, imperméable aux vrais désirs de ces bestioles de la mort. Promesse faîte à la maman alors qu’elle passe de vie à trépas, Jesse veille sur Edgard, frérot à la maturité d’un gamin de cinq ans. La relation entre les deux n’est pas au beau fixe. Voire distendue. Edgard a le Petit Diable dans la tête comme il l’appelle, véritable tyran et d’un appétit féroce. « Nourris-moi, fils de pute » qu’il lui serine régulièrement, le poussant ainsi à prendre des risques que le grand frère n’a plus trop envie de courir.
Comme ce soir-là, lorsqu’ils décident d’aller jouer au bowling et que Jesse flirte avec une fille. Elle lui rappelle Claudine, l’amour de sa vie. Morte. Jesse sait qu’il ne devrait pas l’embarquer. « Quand les mués entament des relations avec ceux qui ne le sont pas, il n’en sort jamais rien de bon. » Mais Johona ressemble tant à Claudine. Il a raison, c’est le début des embrouilles. Entre Edgard qui en ferait bien son casse-croûte et une histoire de bébé, les voilà en fuite, trio bancal constitué de deux charognards assoiffés et d’une minette un peu barrée.
Pendant ce temps-là, Charles Sanders écrit à sa femme Wanda. Il a pris la route, il veut mettre la main sur celui qui a tué son fils Benny, toxico, prostitué, et retrouvé dans une poubelle de L A, il y a deux ans. Il croise sur sa route un borgne qui s’appelle Czarnecki qui a perdu sa femme. Depuis, il garde un jeune homme enchaîné dans une cage qu’il sort uniquement la nuit. « Le gosse repère les vagabonds, ils se reconnaissent entre eux, et je les tue. » Une croisade du bien contre le mal et qui justifie selon lui la captivité et les meurtres.
Tout ce petit monde va se télescoper par la grâce horrifique de Richard Lange qui n’oublie pas de faire venir à la table de ce festin gorisissime les Démons qui écument les bouges et les billards de troisième zone. Sept sauvages en blouson noir qui chevauchent leur moto dès la tombée de la nuit. Ce sont les sicarios de la morsure finale, ils débarrassent le plancher des Vagabonds qui font du tort à la cause des vampires du monde entier. Justement, Jesse et Edgard sont devenus problématiques. Le romancier américain achève sa démonstration par une chevauchée de la mort des Démons échoués dans un motel miteux, en bord de route plongé dans l’obscurité. L’arsenal des frérots est impressionnant : un 45, un 38, un 9mm, un couteau de chasse, une scie. La bataille épique s’annonce apocalyptique. Et le pic à glace essentiel à la victoire finale. Un ballet de corps, de balles et de couteaux qui fusent dans tous les sens. L’auteur a paraît-il pratiqué le Kung Fu et la boxe. Il en a tiré une chorégraphie de Dracula version western Freddy Krueger, sacrément Rock and Roll.
« Les Vagabonds », de Richard Lange, traduit par David Fauquemberg, Éditions Rivages/Imaginaire, 336 pages, 22 euros.