« L’Heure bleue » de Paula Hawkins : une île, des œuvres et un os

L’heure bleue, le nom d’un parfum français. Chez Paula Hawkins, ce serait plutôt l’heure des loups. Dans le monde vénéneux de l’art, la romancière aux vingt-deux millions de livres vendus en 2015, avec un seul titre, « La Fille du Train », revient avec une intrigue psychologique dont elle a désormais le secret parfaitement maîtrisé.

Une artiste, Vanessa Chapman, s’est réfugiée sur l’île écossaise d’Eris, accessible qu’à marée basse. Ce qui en soit n’est déjà pas banal. Ce qu’il est encore moins, c’est la découverte, après sa mort, de la présence d’un os dans l’une de ses sculptures, Division II, exposées à la célèbre Tate Modern. Un expert, James Becker, est désigné afin d’enquêter sur cette découverte encombrante. Becker est un fervent admirateur de l’artiste. Il travaille pour la fondation Fairburn présidée par Sebastian Fairburn à qui il a ravi la fiancée. Quand sa mère, la détestable Lady Emmeline Lennox, passera l’arme à gauche, Sebastian héritera du domaine. En attendant, il est le donneur d’ordres et Becker n’a pas d’autre choix que d’obéir à son employeur.

La fondation Fairburn est la bénéficiaire de la totalité du patrimoine de l’artiste. Une femme, Grace, « l’amie, la gouvernante, la sangsue » comme l’a cruellement décrite la presse anglaise qui sait faire, est son unique exécutrice testamentaire. Douglas Fairburn, l’agent décédé de Chapman, l’a toujours soupçonnée d’avoir dissimulé des œuvres. Becker est chargé de lui rendre visite sur l’île d’Eris afin, et en y mettant les formes, de découvrir : à qui appartient cet os et où sont les œuvres manquantes.

La personnalité de l’artiste est dévoilée au fil des chapitres. Il y a Vanessa Chapman elle-même par ses écrits, dans son journal intime et son courrier. Sans surprise, la beauté de ses œuvres n’est pas le résultat d’un caractère doux et généreux. Au contraire. Narcissique, égoïste, aimant particulièrement les maris de ses amis, Vanessa ne vivait que pour son art et tout était bon pour le nourrir. Seul, Julian son mari, son talon d’Achille, a eu la capacité de temps en temps de l’éloigner de son obsession artistique. La dernière fois qu’il se sont retrouvés, c’était il y a vingt-ans. Depuis, personne ne l’a jamais revu lui et sa décapotable rouge. Chapman a continué de vivre, à peindre et puis un jour, elle a conclu : « La peinture est un objet. Depuis que je me suis cassé le poignet, j’ai pris conscience de la matérialité de la peinture, de son aspect concret. Je me fiche de la scène artistique », écrit-elle à son amie, Frances Levy. Elle ajoute : «  J’ai toujours considéré la famille comme l’antithèse de la liberté ». Francesca n’est pas d’accord. L’artiste tourne autour de son nombril.

Le brouillard écossais s’est invité sur l’île, la douleur est limpide, le chagrin un brouillard. “ Ce matin, j’ai trouvé un os. J’ai tout de suite su ce que j’allais faire, j’ai visualisé la création dans sa totalité.” Nous y voilà, cet os, l’objet de toutes les interrogations, de toutes les suspicions. La fameuse Grace ouvre les lieux à Becker. Gentiment, puis brutalement. Il y a du Daphné du Maurier dans ce roman par son atmosphère étouffante, avec cette amie qui l’est tout autant. L’artiste est erratique dans ses sentiments à l’égard de Grace. Un jour, elle l’aime, le lendemain, elle la hait. Paula Hawkins sait jouer avec les codes de ses prédécesseurs et mettre sa patte. L’intrigue est lente, elle nous conduit doucement vers le précipice, vers un final brutal et surprenant. On pourrait être tenté d’éviter les îles désormais.

« L’Heure bleue » de Paula Hawkins, traduction de l’anglais par Corinne et Pierre Szczeciner, Éditions Sonatine, 384 pages, 23 euros.

 

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