« L’Incident d’Helsinki », de Anna Pitoniak : la fille du père espion

Original. Et pas qu’un peu. L’Incident d’Helsinki de Anna Pitoniak est un thriller d’espionnage écrit par une femme. Le héros est une héroïne. Et le père pourrait bien être une taupe. Tout est inhabituel dans ce récit. La raison pour laquelle il faut s’y intéresser de près.

Une lignée d’espions. Charles Cole fut un agent de la CIA et des années plus tard, après quelques errements personnels, Amanda Cole prend la relève. Deux temporalités sur lesquelles la romancière Anna Pitoniak dont c’est le quatrième roman, va surfer tout du long. Sans pour autant nous perdre, comme cela arrive parfois.

Pour l’heure, la demoiselle s’ennuie sévèrement dans sa nouvelle affectation à l’ambassade américaine de Rome, en Italie. Lorsqu’un Russe se présente à la porte demandant l’asile politique, Amanda Cole trouve là un bon moyen d’égayer sa vie sans relief. Le demandeur d’asile affirme que le sénateur américain Bob Fogel va être tué lors de son déplacement au Caire. Amanda le reçoit et l’écoute. Ce monsieur Konstantin Semonov est traducteur au GRU (Service de renseignements militaires de la Fédération de Russie). Il s’occupe de la fabrication de passeports et de visas. Il surprend des conversations qui valent de l’or. Le chef d’Amanda estime que l’ennui lui est monté au cerveau et qu’elle délire. La jeune femme s’est déjà trompée par le passé et elle sait parfaitement que recruter des agents extérieurs n’a rien à voir avec les films. « Un Russe débarque un jour pour les informer des menaces qui pèsent sur un politicien américain ? Non, ça n’arrivait jamais ». Et pourtant.

Son père, Charles Cole, a 72 ans. Il est à un an de la retraite de la Central Intelligence Agency (CIA) où il travaille comme bureaucrate. Dans sa jeunesse, il a été en poste à Helsinki avec sa jeune épouse. Il était un agent prometteur. On est après 1945, la capitale finlandaise grouille d’espions. L’un de leur sport favori consiste à retourner et recruter chez l’adversaire. Charles délaisse sa femme et sa fille. Une main posée sur son chariot au supermarché a suffi. Une autre femme est entrée dans sa vie. C’est d’une banalité affligeante. On les prévient pourtant ces agents sur le terrain. Le coup de la maîtresse, un grand classique. Mais la chair est faible. Évidemment que Charlie tombe dans le panneau. Il tente alors de réparer. En vain. Il est quasiment exfiltré du pays, retour au bercail américain. Il n’est pas viré. C’est pire.

Son passé va percuter le présent. Ou plutôt celui de sa fille. Pourquoi le nom du père a-t-il été prononcé par le sénateur Vogel. Aidée dans son entreprise par la chef de division, une vieille routière de la Firme de 73 ans, chaussée de bottes de cowboy, Kath Frost, Amanda qui gère Simonov, comprend que cette histoire possède un volet personnel explosif. Est-elle prête à aller jusqu’au bout, quitte à découvrir de terribles secrets au sujet de son père. Anna Pitoniak lâche les explications au compte-goutte et se montre assez fine pour construire une intrigue psychologique entre père et fille sans pathos. Une relation filiale mise à mal, une quête de pardon et de rédemption tardive, le roman aborde la notion de trahison. Quand sa fille lui demande pourquoi, Charlie est désarmant de sincérité poisseuse. Il répond : « Je ne sais pas. On pourrait penser que trente ans, c’est suffisant pour trouver la réponse, mais je n’ai jamais réussi ». Il prépare des gaufres à sa famille qui s’apprête à le trahir, elle aussi, mais par devoir envers la nation. « Si c’est mon dernier repas d’homme libre, autant terminer en beauté ». Abasourdie, Amanda regarde son père et ne peut que répéter ad nauseum, « Je suis désolée, papa, je suis désolée », tout en vérifiant le micro dissimulé sous son chemisier.

L’Incident d’Helsinki de Anna Potoniak, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch, Éditions Gallimard/Série Noire, 427 pages, 21 euros.

 

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