« Moscou X » de David McCloskey : poker menteur entre Russes et Américains

David McCloskey a fait une entrée fracassante sur la scène du thriller d’espionnage avec Mission Damas, l’an dernier. Il revient avec Moscou X, un autre pavé de 588 pages aussi musclé que le précédent. Cette fois, on fricote avec le Khozyain, le Maître, le président Vladimir Poutine, et ses sbires du Kremlin. Et on s’interroge. Qui est le plus fort ? Le pays de l’Oncle Sam ou la Fédération de Russie ? Une rivalité romanesque rattrapée par la réalité du moment. Trump est-il bien inspiré de se rapprocher de son homologue russe ?

La CIA n’a que faire des railleries. Ses échecs passés, pas grave. Au fond, cela reste dans son ADN de continuer à échafauder toutes sortes de coups tordus pour déstabiliser l’ennemi. On retrouve donc Ed Bradley, le directeur adjoint de la CIA et Artemis Aphrodite Procter. Cette dernière vient de se faire avoir par les Russes en possession de quelques des photos compromettantes. Le gars qui a eu cette grande idée n’est pas prêt de remarcher normalement avant longtemps, mais Procter a franchement énervé les huiles de l’Agence. Comme elle ne manque pas d’air et ne lâche jamais l’affaire, elle réclame un poste dans « la nouvelle arrière-boutique qui gère tous les coups tordus contre la Russie Moscou X ». On ne peut pas dire qu’elle suscite l’enthousiasme de Bradley. Mais le big boss a une idée en tête. La Russie, oui, bien sûr, avec un plan bien précis, et Procter possède quelques atouts. Comme cette obsession quasi pathologique envers les Ruscovs tout en ayant intégré depuis belle lurette que ce pays ne sera jamais une démocratie. Non, ce qu’elle aime, c’est chatouiller Vladimir, attiser sa paranoïa. Monter de toutes pièces des situations de déstabilisation en est la parfaite illustration. Parce que Procter en est convaincue. « La mentalité russe consiste à nous pousser et à nous asticoter jusqu’à ce qu’ils obtiennent une réaction. Ils iront aussi loin que nous les laisserons aller. Nous devons tracer une limite, leur rendre des coups, les forcer à réévaluer leur approche ». Et comme Procter n’est pas dénuée de perversité, elle tient aussi à s’assurer que Vladimir pense que c’est la CIA. Parce que ce sera bien la CIA.

Au même moment, à Saint-Pétersbourg, un casse d’un genre un peu spécial est entrain de se dérouler à la banque Rossiya dont l’actionnaire principal est le général à la retraite, Andreï Borissovitch Agapov. Sur la foi d’un document émanant du FSB (Service fédéral de sécurité russe), le lieutenant-colonel Konstantin Konstantinovich Tchernov vient récupérer 221 lingots d’or pour les transférer vers une réserve stratégique située à l’Est. « Les chaussures Ferragamo noires de Tchernov claquèrent sur le marbre du hall, leurs talons immaculés suivis par une imposante cohorte de policiers en tenue des chariots et des caisses ». Inutile de dire que le chef de la sécurité qui trouve la manœuvre curieuse ne moufte pas. Personne n’aime les hommes du FSB et surtout pas son patron, Vassili Platonovitch Grusev, dit La Grue.

On repart. Direction Londres. Hortensia Fox est avocate pour un cabinet qui ne paie pas de mine mais rémunère cinq fois plus que les autres. Les clients sont douteux. Assad, Poutine, Al Saoud, Khamenei et d’autres. Et de quoi va-t-elle s’occuper, celle qui déteste son prénom et se fait appeler Sia ? De fameuses caisses d’or. Une grossière erreur, selon Sia Fox, parce que la demoiselle émarge à la CIA. Qui a donc osé s’attaquer à Agapov, cet ancien du KGB ? Un seul nom émerge. La Grue, l’ancien camarade du KGB de Agapov et qui trône désormais dans un bureau au bout du couloir de Poutine. Des intrigues staliniennes à revendre avec des hommes aux mains pleines de sang. On est au cœur du roman. David McCloskey déploie la même habileté à nous faire découvrir la Russie d’aujourd’hui qu’il a eu à nous balader dans les venelles de Damas, avant qu’elle ne soit libérée de la dictature Assad. L’ancien analyste de la CIA s’appuie sur ses connaissances personnelles passées qui donnent au livre une expertise qui tombe à pic. Qui n’a pas envie en ce moment d’aller voir ce qui se passe chez les Russes ? Qui n’a pas envie de farfouiller dans la tête de Vladimir, histoire de comprendre à quelle sauce le monde va être mangé.

Une ambiance à la narcos. Avec le Mexicain torride Maximiliano Castillo, propriétaire d’un haras à San Cristobal et qui est en cheville avec la CIA, depuis des années. Le deal de l’Agence est tordu. Attirer dans leurs filets le couple Anna Andreevna Agapova, fille du père banquier, et son mari, Vadim Kovaltchouk, argentier d’un circuit parallèle dans les finances de Poutine et grand amateur de purs sangs. Deux couples qui jouent au poker menteur. Un numéro de claquettes à la Roméo et Juliette qui tourne autour de cette histoire de caisses d’or. Qui blanchit quoi, qui a pris à qui ? Anna est la cible principale. La CIA sait déjà qu’elle l’appellera PERSEPHONE. Ce qui nous amène au duo le plus intéressant, les deux agentes, Anna et Sia qui savent reconnaître en l’une et l’autre, une grosse menteuse. Sia n’est pas plus avocate que Anna, charmante épouse sans lien avec les Services de renseignements russes. Bien au contraire, la dame respire le SVR (Service des renseignements extérieurs de Russie). La confiance ne fait pas partie du schéma mental d’un espion. Comment être sûr que la CIA pourra la retourner et quel sera l’argument pour la pousser à trahir son pays ? La confrontation est savoureuse. Qui pour jouer qui au cinéma, si par le plus grand des hasards, quelqu’un à Hollywood achète les droits du roman américain.

Moscou ne semble pas avoir plus de secrets que Damas pour David McCloskey. Si dans le premier ouvrage, on suivait les filatures dantesques du héros dans les rues de la capitale syrienne, cette fois l’auteur nous plonge dans la culture du secret et des crapuleries du régime poutinien. On étouffe autant que l’on flippe avec Sia lorsqu’elle pénètre en Russie. On a qu’une envie, c’est de ficher le camp. Au jeu de la plus solide, Anna qui boit autant de vodka que ses congénères masculins, est Number One, comme si le régime russe avait produit des individus hors normes. Genre super héros robotique machiavélique et sans état d’âme aucun. Sia et ses tourments intérieurs nous apparaissent aussi sympathiques que fragiles. Poutine balaierait d’un revers de la main tous ces traits de caractère comme occidentaux et décadents. En ces temps de bruit de bottes, il n’aurait peut-être pas tort.

Moscou X de David McCloskey, traduit de l’anglais (États-Unis) par Johan-Frédérik Hel-Guedj, Éditions Verso, label du Seuil, 592 pages, 23.90 euros. 

 

 

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