Dans la chaîne alimentaire du vice, ils se battent pour la première place. Dealers et flics ripoux. La pire espèce de la race humaine. Miller alias Mamba et Elvire Andrieu dépendent de la Crim, leur job officiel. Mais le duo fait aussi des extras. Comme dépouiller les collecteurs de fric chez les dealers. Grosse faute de quart parce que dans leur élan décomplexé, les deux pourris s’attaquent aux frères Mansouri. Et c’est loin d’être l’idée la plus lumineuse qu’ils aient eue. Après l’excellentissime Porte des Vents, Jean-Pierre Souvira revient avec un roman noir de gros calibre, Murthy, où le destin aussi banal que tragique d’un jeune Indien deuxième génération, dans les filets d’un cartel franco-marocain et d’inspecteurs dévoyés.
C’est un bon petit gars, ce Murthy Banerjee. Il fait la fierté de ses parents, il va à l’université et sera professeur d’histoire. Son mariage avec Malini Gupta est planifié. Tout roule. En surface. Parce que le jeune homme qui travaille déjà dans un restaurant pour payer ses études et soulager ses parents, fait aussi le coursier pour les dealers. Il va d’un point A à un point B, sans rien connaître du bizness et surtout de ses commanditaires. Il se contente de prendre la sacoche pleine de pognon pour la remettre en mains propres à quelqu’un qui l’attend quelque part. Moins il en sait, mieux il se porte. Il veut durer encore quatre mois, juste de quoi payer le mariage, puis il arrêtera. Un vœu pieux. Il finit par se faire choper. Direction la zonzon.
Que demande-t-on à un bon roman noir ? De tomber dedans, et de le lire d’une traite. C’est exactement ce qu’il se passe avec le livre de Jean-Marc Souvira. Mumba et Elvire sont d’enfer. De beaux salopards qui un jour, il y a bien longtemps, ont été de vrais flics puis se sont perdus en route, déçus par leur propre corporation et par la justice. L’auteur est un ancien commissaire général et a exercé trente ans au sein de la police judiciaire. Il connaît l’envers du décor. Du plus petit au plus haut dans la hiérarchie criminelle, il les a tous côtoyés à un moment donné de sa carrière. Depuis plusieurs années, il leur donne vie à sa façon, il les sort de leur cadre souvent réducteur où tout est blanc ou noir. Cela donne une kyrielle de personnages très souvent sans libre arbitre qui se battent comme ils peuvent pour se forger un destin pas forcément tout tracé. Murthy petit pion dans la grande lessive du crime, en est l’expression absolue. Incarcéré, protégé malgré lui, il ne pense qu’à une chose : son karma.
Mais c’est un gars qui apprend vite et va devenir malin. Tenir sa langue est la première chose qu’il assimile. Derrière les barreaux, il se fait aussi deux amis, Johnny et Ethan. Il reçoit pas mal de corrections et développe un instinct de survie qui lui vaudrait le premier prix chez les scouts. Son atout majeur : cette façon qu’il a de persuader l’autre de son innocence quand il vous regarde avec ses grands yeux remplis d’effroi et qu’il vous lâche toujours une petite vérité comme un os à un chien affamé. L’auteur a l’air de bien aimer son personnage qui s’endurcit sous nos yeux. Parce qu’au fond, on a envie qu’il s’en sorte Murthy. Trop de crapules se servent de lui, trop de pauvres types ou même de flics ripoux. Le roman n’a pas une fin très morale, mais pour une fois on n’est pas mécontent. Les méchants vont dormir en prison et ce héros pas si héros ordinaire aura la belle vie.
Murthy de Jean-Marc Souvira, Editions Fleuve Noir, 496 pages, 14,99 euros.
