Comment faire du beau avec du moche. Tel est l’exploit fictionnel du roman de Gilles Sebhan. L’auteur a puisé dans un fait-divers sordide pour construire une histoire qui surfe sur une certaine idée de l’amour et de l’humanité.
“The grooming gangs” des Midlands et le Nord de l’Angleterre. Au-delà de toute imagination. Une tragédie qui impliqua des hommes poussant de très jeunes filles à se prostituer. L’affaire mit du temps à sortir, les autorités anglaises étant tétanisées par l’origine ethnique des individus à majorité pakistanais. De quoi mettre le feu au pays. Le romancier s’inspire en partie de ce sinistre fait-divers mais le transforme en conte urbain salvateur.
Pour cela, il a puisé dans un autre récit, cette fois cinématographique, « Gloria » de John Cassavetes. Son héroïne porte d’ailleurs le même nom. Mais la comparaison s’arrête là. Parce qu’en réalité, c’est un homme et il s’appelle Peter, il est transgenre. Son univers bien réglé – elle se produit le soir dans un pub et le jour elle fait des traductions – va être pulvérisé par un jeune garçon, Abad, qui a vu ce qu’il n’aurait pas dû voir. Une descente ultra violente de mafieux albanais contre un gang de Pakistanais impliqués dans un trafic d’êtres humains et guère plus sympathiques. Abad est une sorte de miraculé qui a trouvé refuge chez Peter. Il est un témoin clé que tout le monde s’arrache. Que ce soit les caïds albanais ou la police. Les premiers pour le descendre, les seconds pour qu’il les aide.
Le détective David Burn est sur la piste des Albanais depuis un bail. Quand il est appelé sur la scène de crime, un tas de cadavres grassouillets indo-pakistanais sauvagement assassinés, il comprend que la chance est de son côté et qu’elle a enfin placé les Albanais sur son chemin. Peut-être la boucherie de trop. Burn jette un coup d’œil à une sorte d’album photos qui traîne par terre et fixe les victimes intensément jusqu’à ce qu’il remarque de très jeunes filles au regard terrorisé, face à une bande crapules hilares. Il les fixe puis s’en détourne. Il n’est pas là pour elles mais pour les Albanais. Ces histoires de prostitution forcée, le Dorset avait été jusqu’ici épargné, pas son problème. Lui, ce qui l’intéresse, c’est le réseau qu’il doit démanteler, et tenu par Mirko, assisté de son frère Adrian à la réputation avérée de vrai fêlé. Des gars qui pratiquent sans problème de conscience, la gjakmairja, la vengeance par le sang, une tradition un peu rigide qui punit celui qui a brisé une autre loi, celle du silence. Un truc qui se pratique à l’infini, sans délai de prescription. Dans ce tableau assez sordide se dégage un autre personnage, Sarah, employée au service de l’aide sociale qui est la seule à alerter les autorités que quelque chose ne tourne pas rond avec ces adolescentes qui racontent toute le même modus operandi. Des friandises, des vêtements, un appartement prison, de la dope et des mecs à satisfaire H 24. Elle sent la faille chez ce détective qu’elle ne va plus lâcher.
Une nouvelle histoire naîtra de la rencontre de tous ces personnages. Tous sont en quête d’amour, voire de rédemption. Un roman noir qui prêche la tolérance, la différence, avec en prime une solide lecture de l’actualité. Dans la vraie vie, le procès the « grooming gangs” s’est ouvert cette semaine. Enfin.
« Night Boy » de Gilles Sebhan, Éditions La Manufacture de livres, 288 pages, 13.90 euros.