La Virginie-Occidentale. Les Appalaches, les hillbillies, ces blancs pauvres, les laissés-pour- compte d’une Amérique impitoyable. Une Amérique que l’on veut fuir. Mais pas Will Seems. Lui y revient après avoir passé dix ans à Richmond, la grande ville du Sud. Il s’interroge : « Pour quelle raison les gens retournaient toujours vers les choses qui leur garantissaient de souffrir, comme si la vie ne consistait pas à progresser vers un but mais seulement à revenir sans cesse au même point, encore et encore ».
Nulle part où revenir est le premier roman de Henry Wise qui s’annonce comme le digne héritier de Ron Rash ou encore de David Joy, ces hommes des Appalaches qui refusent de s’en aller. La ville est fictive mais tous ceux qui ont traversé cet État ravagé par la crise des opioïdes, pourraient reconnaître telle ou telle bourgade. Elles se ressemblent tant, entourées de végétation luxuriante, et pourtant désertées, abîmées, traversées de cicatrices invisibles, celle du temps de l’esclavage, celle d’un passé jamais digéré, celle de faillites économiques successives et abyssales. Henry Wise est aussi poète et photographe. Son roman est une fusion de ses deux talents. Le regard sur les paysages est celui d’un photographe. Wise décrit les marais, les champs de tabac, les maisons délabrées, ce sont des clichés cadrés et contrastés. Ses images liées à la lumière renforcent l’impression d’un territoire ancré dans le réel tout en étant fantomatique. Son personnage principal est flottant, il alterne entre les prises de position tranchées puis se rétracte comme un escargot méfiant.
Will occupe le poste d’adjoint au shérif. Lorsque son ancien copain d’enfance, le footballeur Tom Janders est découvert poignardé, un homme est immédiatement soupçonné par le shérif Edgars. Il s’agit de Zeke Hathom. Will le connait, il a grandi dans sa famille. Il héberge même en ce moment son fils toxicomane à la dérive. Ce sont des gens à qui Will doit quelque chose, un drame non soldé. Et Claudette Janders le lui rappelle : « Fiston, t’as pas une dette envers cette famille ? C’est pour ça que t’es venu rôder par ici ? » Will le petit blanc accueilli par des Noirs. La tragédie du Sud. Claudette se méfie de ces visages pâles, elle embauche une détective privée, Bennico Watts, une des leurs, pour tenter de faire éclater la vérité.
Mais quelle vérité dans ce Sud blessé, jamais guéri. Celle d’une guerre qui n’en finit pas. Que Claudette, fervente croyante, désigne comme « Le Bien contre le diable ». Mais qui n’est en fait que la même histoire, celle du pouvoir des hommes. Les Blancs contre les Noirs. Will Seems est revenu expier, réparer. L’habit de l’homme de loi suffira-t-il à se défaire de cette pesanteur, de cette culpabilité qui l’habite ? Henry Wise a remporté le Prix Edgard du meilleur premier roman. Il se sert de la poésie pour amplifier les sentiments. Ceux du shérif et de la veuve de Tom par exemple. Tout le Sud poisseux est illustré par ces deux personnages en perdition. C’est un monde en clair-obscur, incompréhensible à ceux de l’extérieur. Immuable et insoutenable pour ceux de l’intérieur.
Nulle part où revenir de Henry Wise, traduit de l’anglais (États-Unis) par Julie Sibony, Éditions Sonatine, 432 pages, 24 euros.