« Piège à Loup » de Alask Nore : de la Waffen – SS au résistant

Revivre l’Histoire pour mieux la comprendre. Le Norvégien Alask Nore s’y attèle depuis pas mal de temps maintenant. Chaque roman est un prétexte à creuser les failles de son pays pris dans les tourments de la Seconde Guerre Mondiale. «Piège à Loup » tourne le dos à la famille Falck et nous présente un nouveau personnage complexe : Henry Storm. De la Waffen – SS à espion résistant pour la cause des Alliés, le jeune homme va changer du tout au tout. Autant par amour que par conviction.

Au départ, orientation familiale oblige (anti-soviétique à mort et pro allemand), Henry Storm qui est parfaitement germanophone, incarne la recrue parfaite. Il se bat sur le front en Ukraine orientale. Il appartient à la division Viking qui lutte aux côtés des Allemands dans leur opération Barabarossa. « Selon les plans, tout aurait du être terminé et les Bolchéviques avoir capitulé. C’était un vœu pieux… » Vous l’aurez compris, à ce moment du récit, le personnage qui porte le roman, n’est pas franchement du bon côté de l’Histoire. Mais le combat va prendre un tour tragique. Henry et ses camarades se retrouvent face au Stalag 436 où sont gardés les prisonniers russes. L’endroit est nettoyé par les armes et Henry reçoit la fameuse croix de fer. À partir de là, tout est changé.

Il rentre à Oslo, compte récupérer Astrid, la fille qu’il aime, et changer de braquet politique. Mais allez convaincre ceux qui dès le début, ont choisi de se mobiliser contre le nazisme. « Tu t’es battu pour l’Allemagne, pour ceux qui nous occupent… tu pensais tout arranger avec quelques lettres creuses sur les champs de colza et sur les couchers de soleil en Ukraine! Pour être honnête, elles ont fini par m’écœurer». C’est pas gagné. Henry insiste et propose ses services à la résistance norvégienne parce qu’il affirme posséder des informations cruciales pour la suite de la guerre. Que la belle Astrid balaie d’un revers de la main. Elle a tort.

L’Allemagne est bel et bien entrain de se doter d’un nouvel arsenal qui lui permettrait, croit-elle, de rayer de la carte les villes de Londres et de Moscou. Le vétéran passe des tests, on lui fait globalement peu confiance. D’autant plus qu’il se présente comme un drôle d’espion avec des idées bien arrêtées. « Comment pensent les nazis », lui demande, le recruteur. « Comme vous » , répond non sans aplomb Henry. Pas de quoi rassurer l’assistance. L’agent recruteur dubitatif se dit après tout, pourquoi pas. S’il réussit tant mieux, s’il meurt, on ne le connaît pas. Il lui offre alors un pot de marmelade. À l’intérieur, un préservatif qui contient lui-même un appareil photo. Welcome dans le monde de l’ombre.

Le roman est très construit. On voyage, Berlin, Oslo, Londres et surtout Peenemünde, la base de recherches et test des fusées V2 sur l’île d’Usedom, en mer Baltique. Cette enclave scientifique devient un personnage à part entière, incarnant les enjeux technologiques, stratégiques et moraux du Troisième Reich. Henry Storm s’est proposé d’y aller avec de faux papiers afin de tenter de récupérer tous les documents qui toucheraient de près ou de loin au développement des armes V2 par les nazis à Peenemünde. Il existerait un dossier classé confidentiel et top secret qui contient des informations stratégiques sur les essais balistiques, les ingénieurs impliqués (comme Wernher von Braun), et surtout sur la capacité de l’Allemagne à retourner le cours de la guerre grâce à la technologie.

Un autre homme, Werner Sorge, est vital à la dynamique de l’histoire et il représente le miroir noir du Norvégien. Le Bien et le Mal face à face. Werner Sorge est un officier SS et agent allemand de haut rang, chargé de superviser la traque des espions au sein des services nazis. Ancien athlète de haut niveau (il aurait représenté l’Allemagne aux Jeux olympiques de 1936), il illustre l’idéal du nazi, passant de l’arène sportive à celle de l’espionnage. Il n’est pas l’archétype du salaud, au contraire, il croit en la mission supérieure du projet nazi. Il est chargé de mettre la main sur un espion qui aurait infiltré le Reich. Un espion qui porte le nom de code de « Griffon », et qui serait parfaitement au courant du programme des fusées. L’opération est nommée Wolfsangel, Piège à loup. Dans ce chassé-croisé d’hommes de l’ombre, entre l’infiltré et celui qui traque, les dignitaires nazis figurent en bonne place dans ce thriller d’espionnage abouti : Himmler, Schallenberg ou encore Heydrich… Philip Kerr nous avait habitués à retrouver régulièrement ces sinistres messieurs dans ses romans. Il semblerait qu’il existe désormais un héritier du genre tout à fait à la hauteur. Alask Nore questionne le positionnement moral de femmes et d’hommes pris dans les convulsions de la grande Histoire. Il interroge sur les convictions, aussi sincères soient-elles. À quel moment le mal est-il administré de bonne foi ? À quel moment est-on pardonné ?

« Piège à loup » de Alask Nore, traduction du norvégien par Céline Romand-Monnier, Éditions Le Bruit du Monde, 432 pages, 25 euros.

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