R. dos Santos est un monsieur calme et courtois. Cartésien.Très Cartésien. Pourtant à la lecture de son dernier et volumineux roman, on ressent une émotion qui lui a peut-être échappé, un bouillonnement qui ressemble à de la colère. L’écrivain portugais aime écrire. Mais pas sûr qu’il apprécie ce qu’il voit. Ce monde traversé de convulsions nationalistes et identitaire, ce monde de fake news orchestrées par certaines nations. De quoi ébranler les cartésiens les plus stoïques.
« Protocole Chaos » est autant un cri d’alarme qu’un cri du cœur. En mode thriller, l’auteur de millions de livres vendus, s’est encore une fois inspiré de faits réels pour construire une intrigue tirée au cordeau. Sur le plan romanesque, on retrouve l’historien et cryptologue, le professeur Tomás Noronha en délicatesse avec son épouse, Maria Flor qui malgré leur petite discorde lui demande de l’aide. Flora s’occupe à travers Amnesty International d’une Brésilienne qui a dû fuir son pays, accusée de pousser les femmes à se faire vacciner contre le Zika, alors que cela mettrait en danger la mère et l’enfant. Depuis, pourrie par les réseaux sociaux, cette femme médecin est harcelée pour ne pas dire menacée de mort. Et 400 000 vues sur YouTube, ce n’est pas rien.
Bienvenue dans le monde du fake. Tomás n’est qu’au début d’un cauchemar qui en réalité le concerne déjà mais dont il n’est pas encore conscient. Le roman de J. R. Dos Santos a été écrit avant l’élection de Trump. Ce qui est un argument de vente d’un point de vue marketing. Mais cette anticipation de l’auteur à voir dans la boule de cristal numérique fait froid dans le dos. Parce qu’elle traduit une intuition légitime dans un temps historique irrationnel. Le romancier tisse un récit balancé entre temp survolté et réflexion didactique dans lequel il introduit, comme toujours, des éléments de fiction, des faits réels, des citations officielles. À tel point, qu’à la fin du livre, on sort un peu de notre zone de confort et on se dit : « Ah oui, et si c’était vrai. »
Mais revenons au roman. Tomás s’est fait piéger. Le bonhomme fort sympathique n’est pas très au fait de cette nouvelle grille de lecture, bien loin de ces bons vieux cryptogrammes mystérieux, de ces énigmes historico-scientifiques dont il a l’habitude . Mais les Russes lui ont mis le grappin dessus et il est difficile de leur dire non. Ils ont toujours recours aux vielles méthodes, comme le chantage. Ils possèdent « La Vidéo » de tous les dangers. Coincé, il a pour mission de récupérer un smartphone dans lequel figure un code que le cryptologue a intérêt à déchiffrer. Pour cela, il doit se rendre en territoire « ennemi », en Amérique… Ce qui laisse Tomás un peu perplexe. Qui a envahi qui, dernièrement ? Le Russe lui sort une explication inédite : le plan Dulles. Qui prévoyait la destruction de l’Union soviétique en 1945. « De l’intérieur au moyen d’actions américaines de désinformation visant à semer le chaos dans le pays, à remplacer les valeurs russes par des mensonges et à convaincre la population russe de la véracité de ses mensonges ». Tomás est effaré. Il connaît le roman rédigé par un Russe dont est issu cette histoire. On est dans un délire paranoïaque. Il n’empêche. La nouvelle Russie a bien appris la leçon parce que c’est exactement ce qu’elle fait pour saper les démocraties de l’intérieur. En attendant, le cryptologue est coincé et doit déchiffrer le code. Sinon, ses nouveaux amis se feront un malin plaisir d’envahir la toile avec une vidéo où on le voit se transformer en « mass murderer ».
Surfer sur la naïveté des gens en inondant la toile de fake news et en manipulant les masses, voilà le nouveau champ de bataille d’une guerre où les armes sont moins sonores mais tout aussi dévastatrices que des maisons bombardées. S’attaquer à ce que l’on croit, à nos certitudes afin de mettre en œuvre un ordre nouveau. Poutine en Russie, Trump aux États-Unis, Xi Jinping en Chine. Et les autres, moins connus mais en embuscade telle une armée des ombres qui creuse le réacteur démocrate. Patiemment. J. R. dos Santos est dans la démonstration. Il se sert du thriller ancré dans le réel géopolitique pour nous pincer là où ça fait mal. Allez, debout, réveillez-vous avant qu’il ne soit trop tard. Avant que l’on ne tue son voisin parce qu’on l’a vu sur les réseaux sociaux et parce que les médias mainstream nous racontent, eux, des mensonges.
« Protocole Chaos » de J.R. dos Santos, traduit du portugais par Catherine Leterrier, Éditions HC Hervé Chopin, 640 pages, 22.50 euros.