Non mais quel drôle de hasard. Le 25 de ce mois de juillet 2025, un homme sort d’une prison de France en pleine nuit, à l’abri de tous les regards. Il s’appelle Georges Ibrahim Abdallah. Il a purgé une peine de 40 ans d’enfermement, accusé de complicité d’assassinat à l’encontre de deux diplomates dont l’un était israélien. Il a toujours clamé son innocence sans pour autant condamner l’attaque.
À la page 14 du dernier opus de Frédéric Paulin, Que s’obscurcissent le soleil et la lumière, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, affirme haut et fort qu’un certain Georges Ibrahim Abdallah est responsable de l’attentat à Paris qui a fait sept morts et cinquante-cinq blessés. Le romancier français est enchaîné à l’actualité. Et quand il s’en écarte, elle lui revient en boomerang, éclairant ses écrits d’un jour nouveau. Et mettant en exergue sa parfaite documentation et son impitoyable quête de vérité. Quel que soit le bord politique.
Clap de fin donc pour cette passionnante trilogie de Frédéric Paulin qui bâtit une fiction encore une fois basée sur des faits géopolitiques bien réels. La période qui l’intéresse court de 1986 à 1990 et on a toujours le Liban en toile de fond. Mais le terrorisme a débordé les frontières du Pays du Cèdre pour frapper l’hexagone. Fini l’exotisme du taboulé ou du houmous, ce pays ne semble plus rien avoir de charmant en cette année 1986. Les attentats sont devenus une sorte de miroir de leur chaos et dont aucun ne veut. La crise des otages français qui n’a pas été réglée empoisonne la course à la présidence de 1988 des deux candidats, François Mitterrand et Jacques Chirac. La nouvelle interprétation de l’islam échappe encore aux Occidentaux mais des compatriotes meurent dans une violence aveugle et inédite, et ça, c’est inacceptable. Pasqua lui-même ne croit guère à la piste Abdallah mais il faut des coupables. On appelle ce genre d’excuse, la raison d’État.
On retrouve les mêmes personnages et les grands noms de la justice de l’époque : Les juges Boulouque, Bruguière et Thiel qui sont réunis dans une structure appelée la « 14e section du Parquet de Paris ». Ils travaillent aussi en ligne directe avec tous les services de renseignements de France, la DST, la DGSE et les RG. Un vrai nid de crabes. Si aucun de ces protagonistes ne se fait confiance, ils tous un point commun : personne ne croit à la piste Abdallah mais la version officielle l’emporte et on obéit aux ordres. Quitte à y laisser sa vie ou à perdre son âme.
Le deuxième front intérieur est incarné par l’ultra-gauche qui dans ces années-là cible les grands patrons. Georges Besse qui dirige Renault, se fait descendre juste devant chez lui. Les témoins parlent de deux jeunes femmes. Il s’agit de Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron. Les deux membres de ce qui reste d’Action Directe avec Jean-Marc Rouillan et Georges Cipriani. Pour les enquêteurs, « des desperados qui ont décidé de semer la terreur ». Pour le commissaire Nicolas Caillaux, l’assassinat de Besse intervient le jour où le gouvernement français rembourse une très grosse dette (le fameux prêt Eurodif) aux Iraniens. « Une pelote qui lui fait des nœuds au cerveau ». Lié pas lié ? Allez savoir.
Une chose est sûre, et même si cela passe par le Liban, tout se joue à Téhéran. Les chiites libanais le savent et les émissaires français se tirent la bourre auprès du gouvernement opaque des mollahs. Jacques Chirac est convaincu que si la France s’acquitte de cette dette, cela résoudra la crise des otages et il gagnera les élections. Mais quel que soit le parti, il n’y a rien de joli à voir. Toujours les mêmes combines. Michel Nada, figure trait-d’union entre le Liban et la France va de désillusion en désillusion. Il a réussi à se faire une place au soleil mais il connaît désormais les affres de l’émigré. Il ne se sent bien nulle part. Pas plus dans son pays d’adoption la France, que dans celui de ses origines, le Liban où la guerre civile le terrifie. Au Liban, les combattants s’épuisent, se déshumanisent. La fatigue, le doute ont gangréné les esprits. En France, ceux qui essaient de faire exécuter la justice se heurtent à une volonté politique rétive. Indifférente au peuple. Le romancier tisse une toile entre la trame historique réelle avec des personnalités qui ont existé et d’autres purs produits de son imagination. Les deux précédents ouvrages montraient l’inéluctable montée du chaos. Celui-là s’attache davantage aux destinées individuelles. Celle du conseiller diplomatique Philippe Kellermann, empêtré dans un amour à sens unique envers la Libanaise chiite Zia. Cette dernière personnifie avec une détresse noire l’individu piégé. À fortiori quand on est une femme. Quelle place peut-elle avoir dans cette lutte contre l’occupant dans un cadre où l’interprétation religieuse rigoriste exclue la militance féminine autrement que par la procréation ? Son déraillement personnel est d’une férocité inouïe. Victime innocente de l’amour que deux hommes lui portent de façon maladive, elle finira coupable, animée d’une haine insurmontable. Et laissera un mot tout en sachant que cela est vain. « Mais son geste sera, de toute manière, instrumentalisé par le Hezbollah : les hommes décideront si elle est une martyre ou simplement une inconsciente ». Décider à la place des femmes, n’est-ce pas ce qu’ils font d’ailleurs depuis des millénaires. Pour le meilleur et plus souvent pour le pire.
Que s’obscurcissent le soleil et la lumière, de Frédéric Paulin, Éditions Agullo, 384 pages, 23.50 euros.