« Rares ceux qui échappèrent à la Guerre » de Frédéric Paulin

Frédéric Paulin, second round. Le Liban, toujours. De 1983 à 1986. L’actualité prend décidément une drôle de place dans l’œuvre du romancier français. Au moment où s’est ouvert le procès des bourreaux de L’État islamique en France face à leurs victimes, « Rares ceux qui échappèrent à la Guerre » commence par l’attentat contre le poste français du Drakkar à Beyrouth. Choc, sidération, avec les Américains, ce sont aussi les Français qui sont visés dans un pays soi-disant ami. En réalité, ce n’est que la confirmation d’une guerre asymétrique sourde entre deux mondes : l’arabo-musulman et l’occidental. À cette époque, personne ne perçoit la portée de ces attaques sanglantes et leurs conséquences à long terme. Personne ne voit le début d’une spirale mortifère où l’islam allait se faire piéger et nous avec.

La tragédie est néanmoins suffisamment importante pour que le président François Mitterrand en personne, fasse le déplacement. Une folie pour Dixneuf, le commandant sombre et ombrageux de la DGSE, et une grande première depuis l’Indépendance en 1943. Aucun chef d’État français n’était revenu au Liban. À ce stade, on ne sait pas encore qui est derrière l’explosion. Nous voilà replongez dans le bourbier libanais. Sur l’échelle de Richter, les secousses qui brutalisent le pays sont de plus en plus violentes. La guerre reste la seule option pour ceux qui veulent en découdre, ceux qui ont quelque chose à y gagner. Tous ont faim de cet état d’exception enivrant que procure l’absence de paix. Frédéric Paulin ne lâche rien. Les personnages, les tensions, l’intrigue, en flux tendu, toujours. On navigue entre le pays du Cèdre et l’hexagone, on s’échappe sans respirer vraiment en Iran. On ne souffle guère. Pas le temps, l’Histoire en marche a été lancée comme un boulet de canon. « Il n’y a qu’ici, que la guerre se reproduit elle-même. Ici, la guerre a généré son économie, de nouvelles strates sociales, des classes politiques et économiques qui maintiennent un niveau de violence élevé ».

Qui est le coupable ? L’Iran, la Syrie, le Hezbollah ou le Jihad islamique ? Le nom de Imad Mughniyeh émerge rapidement dans le roman de Frédéric Paulin. Une star de l’ombre, le cœur de cible du Mossad, l’homme des basses œuvres du régime de Téhéran. L’individu est parfait pour la trame romanesque. Qui dit Iran, dit Hezbollah, non ? Alors, on retrouve le terrible Abdul Rasool al-Amine, l’homme en colère, amoureux de Zia al-Faqîh, elle-même encore nostalgique de ses rencontres avec le diplomate français Philippe Kellermann dans une vie antérieure. S’il savait ce qu’elle est devenue. « Elle ne se ment jamais. Elle sait qu’elle est la responsable d’innombrables morts. Elle n’est pas la commanditaire, mais son rôle est primordial. C’est elle qui a recruté les chahidi, les martyrs ». Il n’y a plus de retour en arrière, la mécanique de la mort n’obéit qu’un seul bouton : celui qui va en avant. Toujours.

En France, l’ami libanais Michel Nada se sent de plus en plus Français. Il a divorcé, retrouvé l’amour en la personne de Josiane qui travaille à la mairie de Nice. Elle s’occupe du parc immobilier municipal. « Il l’a rencontrée lors de la visite d’un millionnaire libanais, un certain Rafic Hariri, proche de Jacques Chirac ». Josiane fait remarquer à Michel fraîchement élu député des Alpes-Martimes, qu’il n’a pas l’air atteint par le nouveau drame de Beyrouth. Il lui dit qu’elle se trompe. Il ment. Il se sent de moins en moins Libanais. « Son pays, qu’est devenu son pays ? Dévasté par la guerre entre chrétiens, Palestiniens, musulmans, il est la proie de violences intracommunautaires »Tragédie nationale mais aussi tragédie à hauteur d’homme. Ainsi le petit frère de Michel Nada a-t-il eu la mauvaise idée de tomber dans le trafic de drogue et pire, de faire affaire avec des gus encore plus aguerris côté violence, si tant est que ce soit possible. Les narcotrafiquants, ceux des cartels d’Amérique centrale. Cela lui coûtera sa tête. Au sens figuré et propre. La famille Nada se disloque un peu plus chaque jour. Elle part dans les eaux noires de la folie humaine comme tout le reste du pays.

Parce que la saison des otages a commencé. Les attentats n’ont pas suffi aux yeux de certains acteurs majeurs de la région. Dorénavant, le kidnapping sera l’angoisse des Occidentaux.  Américains et Français sont des trophées de guerre de premier choix, les Juifs ne sont pas mal non plus. C’est du moins ce qui a été dit à Abdul Rasool, lui qui gère au quotidien ces précieux prisonniers. Mais il fulmine Abdul, il estime que les chiites de Téhéran sont les vainqueurs de ce storytelling macabre. Pas eux, les chiites libanais, alors qu’ils ont fait tout le travail. La torture demande du savoir-faire. Mais qui saura que lui et ses hommes ont été à la manœuvre. D’autres, plus tard, bien plus tard, sous un label différent, celui de Daech, poursuivront ce travail de terreur en Syrie kidnappant humanitaires et journalistes et pratiquant les pires tortures.

Le commandant Dixneuf sait à quoi s’en tenir mais Paris s’en moque. Mitterrand a dû accepter la cohabitation. Chirac a été nommé Premier ministre. La libération des otages ne vaut que par le gain politique qu’elle rapporte. Pour Chirac, il serait bien qu’elle survienne avant la présidentielle de 1988. D’un seul coup, Téhéran devient The Place to Be pour les émissaires français. On y retrouve les hommes de Mitterrand et de Chirac. Compétition d’hommes en costume cravate et de barbouzes endimanchées. Dixneuf comprend que les Iraniens se paient leur tête. Ce qu’ils veulent, ce sont des armes et le remboursement d’une dette énorme. Gros sous et politique. Rien de neuf sous le soleil. 

En reprenant ses personnages pris dans la tourmente de grands événements historiques, Frédéric Paulin poursuit cette fresque passionnante sur un pays qui peine à exister, dans l’impossibilité d’être libre et maître de son propre destin. Les plaques tectoniques se sont déplacées. Les sirènes retentissent dans Paris. Le magasin Tati rue de Rennes vient d’être soufflé par une bombe. C’est un carnage. Le conflit libanais a débordé. On doit laisser nos personnages œuvrer. Pour mieux les retrouver l’année prochaine dans le dernier opus de la trilogie Benlazar, maîtrisée de bout en bout par Frédéric Paulin. 

« Rares ceux qui échappèrent à la Guerre », de Frédéric Paulin, Éditions Agullo Noir, 416 pages, 23.50 euros.

 

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